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LES MENDIANTS DE PARIS

ensemble voir ce petit palais enchanté pour en faire l’acquisition le plus tôt possible.


XXI

le don d’empire


Un matin, le bon vieux Corbillard descendait du Luxembourg par la rue Madame, et, chemin faisant, se tenait à lui-même ce langage :

— Il faut que je veille sur ma jolie voisine. Hier, une femme de mauvaise mine est venue chez madame Jacquart rôder autour de Robinette. Elle devait, disait-elle, l’emmener aujourd’hui chez un grand seigneur, très-charitable, qui voulait lui remettre ses dons à elle-même, afin de l’interroger sur sa situation, de juger de ses bons sentiments… Et que sais-je encore !… Cette charité me donne à penser… Robinette grandit en sagesse et en beauté… en beauté du moins !… Mais les pommes rougissent pour que les larrons passent sur le mur… madame Jacquart n’y prend pas garde… Heureusement je suis là ; j’empêcherai bien les mauvais desseins… Il ne faut pas qu’on nous enlève Robinette, la perle du pauvre monde… Avec ça, la pauvre petite a toutes sortes de dispositions à mal faire… mais j’y veillerai, encore une fois… Robinette ne fera pas de folies tant qu’elle sera avec moi… Je lui parlerai raison : il faudra bien qu’elle m’entende… Les vieux doivent conseil aux jeunes : c’est pour cela que Dieu les laisse sur terre…

En son géant ainsi, les yeux baissés sur le pavé ardent de chaleur, Corbillard avisa dans un tas d’ordures, et parmi les restes d’un bouquet jeté au rebut, quelques œillets rouges passables. Du bout de sa béquille, il les dégagea de la litière, et il allait se baisser pour les ramasser.

Une jeune femme qui sortait de l’église Saint-Sulpice et tenait un gros bouquet d’œillets, eut pitié de ce pauvre vieux qui enviait ces fleurs à demi-flétries. Rejetant son voile en arrière, et montrant une figure souriante, elle partagea son bouquet en deux, et en donna la moitié au bonhomme.

Cette aumône de fleurs fît un plaisir extrême au mendiant.

— Dieu vous bénisse, ma bonne dame ! dit-il.

Puis, la regardant plus attentivement :