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LES MENDIANTS DE PARIS

— Oui, un fameux toste au tonnerre de Dieu.

— Au tonnerre de Dieu ! hurla la foule en buvant.

— Maintenant, en avant, marche !… Et voyons qui de lui ou de nous fera plus de tapage.

— Et pour défier le ciel nous allons danser le galop infernal.

— Ça y est ! vivat !… vivat !… Le galop infernal.

Les danseurs ayant ainsi retrempé leurs forces, le bal reprit son cours.

C’est alors qu’on voit ce spectacle fantastique dans tout son bizarre éclat.

Dans le galop final, les danseurs ne sont plus disséminés en un certain nombre de figurants, ils forment un seul corps compacte, formidable, mu par le même élan, bondissant dans la même mesure, qui se déroule en chaîne immense, tourne et serpente avec une ardeur frénétique, une rapidité sauvage.

Mais ici, cette bande, formée de la horde des mendiants, offre un aspect particulier par la variété, le mélange des figures qui la composent. Ce sont là des êtres de tout âge, de tout genre de laideur, contournés par les infirmités ; abrutis dans la fange, auxquels l’orgie rend un moment de forces factices galvaniques. Leur aspect, par un hasard qui semble magique, est en harmonie avec les mouvements impétueux, effrénés, diaboliques de la danse qu’ils exécutent.

Pendant cela l’orage continue, avec ses éclairs croisés, son roulement continuel, ses coups de foudre éclatants, ses craquements aigus où l’air se déchire, ses chocs terribles de nuages qui se heurtent et combattent dans l’espace. Il semble que l’orgie soit au ciel comme sur la terre.

Les murs noirs de la salle se perdent dans l’ombre ; la lumière devient d’un rouge sombre dans les flots de fumée et de poussière ; elle s’abat, s’agite en tout sens dans le courant d’air que forme la danse.

Tout autour de l’enceinte sont rangés les pauvres mendiants qu’on a recueillis ; ils dorment en masses inertes ou rampent comme des lézards au pied des murailles, en rongeant encore les os des viandes qu’on leur a jetées. Leur foule immonde forme la galerie de cette étrange fête.

On y respire le souffle brûlant de l’orage, le souffle infect de l’orgie. Les vapeurs épaisses de l’huile qui se con-