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LES MENDIANTS DE PARIS

À table, on eût dit qu’elle était dans son élément et ne pouvait se montrer sous un jour plus favorable à sa beauté piquante, folle, désordonnée ; et maintenant qu’elle dansait avec tant de goût, d’amour, de bonheur, elle était bien plus ravissante encore : c’était vraiment le plaisir incarné !

Son teint resplendissait, ses yeux étaient parlants et disaient toute l’ivresse de son âme ; ses grâces étaient dans leur moment d’inspiration suprême. Sa danse naïvement libre, effrontée, avait mille mouvements prestigieux. Les nattes de ses cheveux, trop épaisses pour se soulever aux élans de la danse, se balançaient seulement sur ses épaules et sur son cou ; dans les vives oscillations qu’elle se donnait, les lumières du satin qui miroitaient tour à tour, sur chaque partie de son corsage en dessinaient les formes voluptueuses ; sa jupe blanche se gonflait, légère, vaporeuse, dans un tournoiement rapide ; ou flottait de côtés en plis gracieux, sous la rapidité de ses pas légers qui ne semblaient pas toucher la terre.

Tout en dansant, elle parlait, riait toujours, jetait à l’un et à l’autre des mots piquants, hardis… Au milieu de sa polka impétueuse, elle saisissait sur le buffet un verre plein, le vidait, en continuant de jeter ses pieds en arrière par bonds égaux, puis ramenait sa main retournée sur sa hanche et continuait fièrement sa course vagabonde.

Herman suivait du regard tous ses mouvements harmonieux, étonné du charme qu’elle exerçait encore sur lui, maintenant qu’il pouvait la connaître. Par instant, effrayé et honteux d’éprouver pour elle cette admiration ardente, il cachait son visage dans ses mains pour se soustraire à une fascination étrange ; mais quand il relevait la tête, on eût pu voir sur ses traits qu’à un nouveau regard porté vers la jeune fille, il ne restait pas moins séduit et enivré.

Dans cette contemplation imprudente, il oubliait même un peu plus de se tenir caché. À un mouvement qu’il avait imprimé à la porte du cabinet, deux ou trois mendiants, placés près de là, l’avaient aperçu.

Étonnés d’abord au dernier point de voir un homme de cette tenue et de cette apparence enfermé dans un cabinet du Trou-à-Vin, ils s’étaient quelques instants consultés entre eux.

Ils étaient assez ivres pour ne pas bien comprendre l’importance qu’il y avait pour eux à être ainsi observés