Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/161

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
LES MENDIANTS DE PARIS

— Ce qui fait qu’en ayant mangé, nous aurions le diable au corps.

On regardait encore vers l’endroit du plafond où le mystère s’était accompli, lorsque soudain il partit de là une espèce de plainte qui fît frissonner les moins hardis.

— Cré nom ! s’écrie un mendiant, assassine-t-on là haut ?

Puis une voix se fit entendre venant du même point.

— J’ai soif… bien soif, disait-elle ; un verre de vin, s’il vous plaît !

En même temps, on vit le plafond s’entr’ouvrir, une main se présenter jusqu’à concurrence de la longueur d’un bras. La main était ouverte, et la voix répétait :

— À boire donc… à boire !…

— Je crois voir une main, dit Corbillard, et entendre parler… Mais l’homme doit se défier de ses sens.

— Tu vois très-bien ! s’écria-t-on ; mais est-ce le diable ? est-ce un être humain ?…

— Parbleu, moi savoir bientôt la malice ! dit Jupiter en sautant prestement sur la table.

Alors il saisit le bras et tire de toutes ses forces… On voit bientôt un second bras, puis une tête d’enfant, puis un corps tout entier qui sort du judas pratiqué dans le plafond, et, accomplissant une culbute dans le trajet, se trouve debout sur la table.

— C’est Pierrot !… Pierrot ! crie-t-on de tous côtés.

Le nègre et Pierrot sont tous deux sur la table, se regardant en face, comme ces plats montés qui font l’ornement des déserts.

On applaudit au dénouement de l’aventure en battant des mains et riant à gorge déployée. Pierrot ôte sa casquette et salue la société.

— C’est lui, petit coquin, dit Jupiter, qui faisait venir les babas au plafond, quand on croyait que c’était le diable.

— Tiens ta langue, négrillon, prononce le président. Et toi, Pierrot, veux-tu bien m’expliquer la cause de la manière peu naturelle dont tu te présentes dans cette assemblée ?

— Voilà, président, dit le petit bonhomme. Il fallait huit francs pour payer mon écot dans ce souper… J’étais pas en fonds… dans le commerce, il y a toujours des moments de gêne. Alors je m’ai dit : J’irai tout de même… Je me suis faufilé dans le grenier qu’est au-dessus de cette salle ; je savais qu’il y avait un judas, je l’ai un