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LES MENDIANTS DE PARIS

gardé tout son sang-froid, et regardait la jeune fille en souriant avec mélancolie.

Tu crois, petite, répète Robinette d’un ton moqueur, en faisant la moue. Mais voyez donc si l’empereur Napoléon aurait autrement parlé à la rosière de Nanterre… On t’en donnera des yeux comme les miens pour qu’ils viennent te faire des coquetteries, te dire : Je t’aime ! et puis que tu leur répondes : Va-t’en voir s’ils viennent, Jean.

— Ne te fâche pas Robinette ; je t’aime aussi, vrai.

— Oui, comme une sœur ou un petit chien. Je ne veux pas de ça, entendez-vous, jeune homme ; c’est du bel et bon amour qu’il me faut… mais là, une passion, comme dans les mélodrames, des enragés qui s’embrassent et se poignardent sans y regarder… Non, ajoute-t-elle en se reprenant sur un autre ton, pas de poignards, diable !… de l’amour, du plaisir, du plaisir toujours, de belles fêtes comme celles du Trou-à-Vin, des parures, des promenades, des feux d’artifice, surtout de bons dîners… Et auprès de soi l’homme qu’on aime, comme toi… car je t’aime… tiens, autant que Godois aime le lapin, continua-t-elle en éclatant de rire.

— Drôle de petite fille !

— Drôle ! pourquoi ? C’est bien naturel de t’aimer, va !

Robinette le regarda langoureusement et pencha la tête près de son épaule.

— Elle est pourtant bien jolie ! dit-il en contemplant la jeune fille et se parlant à lui-même. Oh ! si je pouvais oublier !

Ses traits se rembrunirent, et il laissa retomber sa tête sur sa poitrine.

— Dis-moi donc pourquoi je suis drôle ? Parce que j’ai bu un peu de cette horreur de vin ? ajouta Robinette en jetant son verre plein sur la table… Eh bien ! tant mieux ! car je te jure que c’est amusant… Depuis un instant, je me sens plus gaie cent fois… La salle est toute pleine de lumière… Nos amis, que je trouvais si laids tout à l’heure… car il n’y a que toi de beau ici, Pasqual… ils me semblent moins affreux… Je veux me griser tout à fait. Je veux fumer.

Elle frappa du manche de son couteau sur la table.

— Garçon, un cigare !

— Tais-toi donc, folle !