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LES MENDIANTS DE PARIS

fermes, sa bouche souriante ; et cet épanouissement de plaisir la rend délicieusement belle.

Elle est saluée par des acclamations bruyantes ; on boit à sa santé le vin qui circule déjà pour calmer la soif des plus pressés.

Légère, bondissante, elle fait en une minute le tour du vaste cercle en donnant des poignées de main, à tous les amis… Le gars normand la suit dans cette tournée rapide ; il veut lui prendre la taille ; mais elle se retourne, le regarde en face, et, gonflant ses deux joues, se met à frapper par-dessus, par un signe de moquerie et d’impertinence bien connu dans cette société… Le jeune vagabond, à cause de cela, essaie de lui prendre un baiser ; mais voyant aussi son intention, elle la prévient par le plus vif et le plus vaillant soufflet qui se puisse imaginer.

La petite fille, cependant, avise Pasqual, son cher Pasqual, assis sur un banc, et d’un bond s’élance sur ses genoux.

Il y a dans ce mouvement autant de naïveté que de licence : Robinette n’est qu’au lendemain de l’âge où elle aurait sauté sur les genoux de quelqu’un en enfant qui veut se faire caresser ; on voit encore quelque chose de cela dans son action ; et on la lui pardonnerait même dans une société un peu plus choisie que celle où elle se trouve.

La jeune fille dit à Pasqual d’une voix douce, argentine et un peu plaintive :

— Ah çà !… mais voyez donc s’il voudra bien me parler !… me regarder au moins !… Il ne s’aperçoit seulement pas que je suis là ?…

— Bonjour, petite… bonjour… répond le grave et impassible mendiant.

Malgré cela, elle demeure sur les genoux de Pasqual. D’une main elle le tient par le cou, de l’autre elle brandit son verre, qu’elle vient de lui prendre. Elle tourne sa tête et ses grands yeux éclatants de volupté vers ce vin rouge et pétillant, tout en balançant ses petits pieds croisés et en donnant un tour gracieux à sa taille si souple, qu’un souffle d’air la ferait onduler.

Pasqual montre à côté d’elle sa belle tête ; austère, et froide comme le marbre.

Le nègre, accroupi à quelques pas devant eux, regarde