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LES MENDIANTS DE PARIS

ville ; c’était une espèce de sinécure où le faible vieillard n’aurait que des fleurs à cultiver.

Cependant il balança à accepter, car dans le malheur qui l’accablait, la perspective de mourir de faim devenait une faible considération… Mais une idée passa dans l’esprit exalté d’Augeville. Le corps de Marie était encore dans la cabane ; le terme prescrit entre la mort et l’inhumation venait seulement d’expirer. Les restes de cette enfant étaient tout ce que possédait encore de cher et de sacré le malheureux père… le corps de son fils ne lui avait pas été laissé !… Il n’avait qu’une dépouille mortelle pour deux pertes si douloureuses. Demeurer attaché à ce précieux dépôt était la seule consolation qu’il pût trouver. Il accepta cette place que la charité compatissante lui offrait, à la condition de déposer Marie dans une fosse du cimetière où il travaillerait.

Ce lieu de sépulture n’était guère plus éloigné du Bas-Meudon que celui dans lequel on aurait dû transporter la jeune fille. Là protectrice d’Augeville obtint facilement pour lui l’autorisation de faire conduire le corps de Marie à Vaugirard.

Le vieux jardinier, attaché à ce cimetière, y éleva à sa fille adoptive une simple tombe sur laquelle il fit graver le nom de Pierre et de Marie… la destinée de ces deux êtres avait été si étroitement liée, l’amour les avait tellement unis, que par la pensée ils habitaient bien là tous deux !

Augeville passa quelques années dans l’asile qui lui avait été donné.

Au bout de ce temps, sa raison se perdit tout à fait. Son âme s’était retirée de ce monde ; le temps où il se trouvait, les objets qui l’environnaient n’existaient plus pour lui. Un jour il sortit du cimetière, et, arrivé sur les bords de la Seine, qu’il reconnaissait, il s’en alla pas à pas jusqu’à son jardin, qui n’était plus alors qu’une terre blanche et sèche, couverte de feuilles mortes. Il entra dans cet enclos ou l’instinct l’avait guidé, comme le cerf blessé revient mourir à son gîte.

Et le pauvre insensé s’arrêta là pour le reste de sa vie.

— Eh bien ! ma bonne Jeanne, dit Pasqual, après avoir entendu le récit de ces événements, qui lui avait été fait par la vieille femme sous les ombrages du tombeau de