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LES MENDIANTS DE PARIS

Dans cette même séance, Herman voulut prendre une décision au sujet du nègre qui avait figuré dans la malheureuse affaire.

Pendant la succession rapide des événements, Jupiter, à peu près oublié sous les combles de la maison, s’était guéri tant bien que mal, avec l’aide de Dieu. Herman, frappé moralement aussitôt après la catastrophe, n’avait pas eu le temps de veiller sur son domestique noir. Les valets de la maison s’étaient contentés de le remettre entre les mains d’un rebouteur de campagne qui, abandonnant à leur sort les membres fracturés, avait seulement tâché de conserver la vie à ce qui restait du pauvre diable, et s’était acquitté de cette tâche à son honneur : Jupiter était alors incomplet de sa personne, mais en parfaite santé.

Quoique cet homme eût été estropié à son service, Herman n’eut pas le courage de le conserver dans sa maison, sentant qu’il ne pourrait supporter sa vue.

Il fit appeler le noir ; il lui donna une somme de 45,000 francs, avec laquelle l’infirme pourrait vivre à son gré à la campagne ou dans un hospice, et le congédia en lui disant que le dernier ordre qu’il lui donnait, comme son maître, était de l’oublier, d’oublier la maison qu’il quittait et tout ce qui s’y était passé.

Un instant après, Herman de Rocheboise et ses jeunes amis quittaient ce village maudit, en jurant de n’y jamais rentrer.

Le père Augeville, demeuré seul, sans, force pour travailler, et avec un deuil si sombre dans le cœur, avait excité tant de pitié, d’intérêt, que, dans tout le pays, on n’était occupé que de lui. Le jour où on avait eu la certitude de la mort de Pierre, on s’était rendu en foule auprès de son malheureux père. Ces rudes paysans avaient le cœur navré en voyant le pauvre vieillard, seul, dans son grand jardin, si beau, si verdoyant peu de jours auparavant, et où toutes les plantes semblaient déjà se dessécher et mourir : ceux qui revenaient de cette triste demeure avaient les yeux pleins de larmes.

Une dame habitant le pays apprit la situation du vieil Augeville et songea au moyen de le secourir. Elle savait qu’on avait besoin d’un second jardinier pour le cimetière de Vaugirard, à Paris, et pouvait faire obtenir cette place à celui qu’elle recommanderait. Elle vint l’offrir à Auge-