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LES MENDIANTS DE PARIS

Pendant quinze jours le danger fut extrême, et quand on vint à bout de vaincre l’intensité de la fièvre, le délire ne diminua point.

Il y avait même une sorte de suite dans les hallucinations qu’il amenait. Le malade s’entretenait toujours avec des fantômes qu’il voyait près de lui ; ses paroles, qui exprimaient le regret, la prière, la terreur, offraient un enchaînement d’idées, et chaque jour, en s’entretenant avec ses hôtes imaginaires, il reprenait son entretien où il l’avait laissé la veille.

Lorsque dans ses moments de calme, on essayait de lui faire prendre l’air dans un fauteuil placé près de la fenêtre, le murmure si faible et si lointain de la rivière, la vue de quelques arbres dont la cime coupait l’étendue du ciel, amenaient soudain une altération profonde sur ses traits, et déterminaient de nouveaux accès.

Les amis d’Herman, pendant le cours de sa maladie, veillèrent alternativement près de lui, l’entourèrent de soins et lui montrèrent le plus sincère et le plus tendre intérêt.

Le moment vint enfin où les médecins annoncèrent que Herman pouvait sans danger supporter la voiture et retourner à Paris. Le comte de Rocheboise avait déjà quitté la maison de campagne pour aller reprendre la direction de ses affaires.

Le jour où Herman devait quitter le Bas-Meudon, ses amis, MM. Léon Dubreuil, Hector de Sercy, les frères de Sabran, la plupart des jeunes gens qui avaient assisté à la funeste veillée, se trouvaient réunis près de lui.

Pour la première fois, on rappela ce triste souvenir, et ce fut pour jurer à Herman de garder toujours à ce sujet un inviolable secret. On tâcha d’affaiblir à ses yeux la gravité de cet attentat, dont l’inspiration avait été puisée dans les fumées de l’ivresse, et de le rassurer sur les suites qu’il pourrait avoir.

— Les deux victimes de notre faute, dit Hector de Sercy, ne sont malheureusement plus ; la cause de leur mort n’est connue ni des domestiques de la maison, ni des habitants du village, ni même du père Augeville ; l’oubli doit donc s’étendre sur cet événement, et chaque jour en épaissira le voile.

— Mais je le saurai toujours, moi ! dit Herman d’un accent qui produisit une profonde sensation autour de lui.