Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
LES MENDIANTS DE PARIS

village, malgré l’heure avancée, et de s’informer de ce qu’il y avait de vrai dans le récit du valet de chambre ; mais Herman n’en avait pas la force ; plus le temps s’écoulait, plus le froid de son cœur, la douleur instinctive, lui assuraient que la prévision la plus cruelle était juste, que Marie n’était plus, et que l’attentat commis contre elle dans cette fatale nuit, lui avait donné la mort.

Pendant qu’il était livré à ses appréhensions, dont la bonté de son cœur, sa sensibilité extrême faisaient un véritable supplice, un mal physique vint aussi le saisir. Il sentit une violente douleur de tête et un froid intense dans tout le corps ; sa poitrine était altérée, sa bouche sèche, et malgré les frissons qui parcouraient ses membres, l’eau froide d’une carafe posée sur la cheminée lui faisait envie : il en but plusieurs verres et sentit aussitôt un grand accablement, une extrême faiblesse… c’étaient les premiers symptômes d’un mal qui devait être long et dangereux.

Il se jeta sur son lit avec un certain soulagement, pensant que, brisé, anéanti comme il l’était, il allait dormir longtemps et échapper à ses angoisses.

Ce ne fut pas le sommeil qu’il trouva sur sa couche, mais une fièvre ardente dont l’agitation douloureuse, les aiguillons incessants s’attachaient à tout son être. Il ne demandait qu’un moment de repos, d’oubli ; et s’il croyait s’assoupir quelque temps, la pendule, lui sonnant impitoyablement toutes les heures de la nuit, lui montrait que dans sa longue veille, il n’échappait à aucun instant de ce supplice.

Lorsqu’une chaleur dévorante succéda aux frissons dans le cours de l’accès de fièvre, il ne put plus tenir dans son lit ; et, allant ouvrir la fenêtre, il se pencha au dehors pour aspirer l’air vif de la campagne.

La nuit finissait. Une blancheur faible et terne était répandue dans l’espace ; la silhouette grise du rivage se détachait sur la nuance pâle et transparente de la rivière. Mais le temps était bas ; la brume qui tombait en pluie fine voilait l’espace, et confondait les objets dans une perspective morne et triste. Le bruit monotone de la pluie, le grincement sourd des chaînes de bateaux amarrés au rivage, formaient une harmonie mélancolique en rapport avec la tristesse vague de l’atmosphère.

Il n’y avait de jour que ce qu’il fallait pour éclairer la profonde solitude de la campagne.