Page:Robert - Les Mendiants de Paris, 1872.djvu/131

Cette page a été validée par deux contributeurs.
127
LES MENDIANTS DE PARIS

Comme la soirée était déjà avancée, son valet de chambre, en entrant chez lui pour le déshabiller, lui raconta de la manière la plus indifférente, qu’étant allé faire une commission au village, d’où il revenait à l’instant même, il avait vu beaucoup de monde assemblé à la porte d’une cabane, et que, lorsqu’il s’était enquis du motif de ce rassemblement, on lui avait répondu que dans cette maison venait de mourir subitement une jeune fille très-aimée dans le pays. C’était, disait-on, l’enfant adoptive du jardinier Augeville et la fiancée de son fils, qui, à peine âgée de dix-huit ans, avait expiré au matin, sans qu’on connût nullement la cause de cette mort aussi prompte que malheureuse.

Herman, en entendant ce récit, demeura fixe dans l’attitude où il se trouvait ; un froid mortel se répandit en lui, un saisissement inconnu lui serrait le cœur. Il sentit le besoin d’être seul ; il fit deux fois signe de sortir au valet de chambre, qui, étonné de cet ordre subit, ne se pressait pas d’obéir.

Après avoir regardé la porte se refermer sur les pas du domestique, il se livra tout entier à son trouble, à ses terreurs.

Il se représentait cette jeune fille, qu’il avait vue si belle, si heureuse trois jours auparavant, étendue sur une couche funèbre, morte ! morte par sa faute à lui !…

Il était debout, serrant d’une main l’appui de la croisée, l’attention fixe, le regard perdu dans l’espace ; il tâchait de réfléchir, de raisonner. Le doute vint un instant à son secours. Il se demanda si c’était bien lui qui, avec sa folle et barbare vengeance, avait tué cette innocente enfant ! Si la terreur, poussée au dernier degré, pouvait bien réellement donner la mort, même à l’être le plus faible… Si quelque autre événement n’avait point amené la fin de Marie ! Enfin, si cette jeune fille avait bien cessé d’être, si on ne prenait point quelque défaillance profonde pour la mort !

On a toujours peine à penser qu’une existence soit moissonnée avant l’âge, et Herman, s’attachant à cette incrédulité, répétait sans cesse :

— C’est impossible !… on ne meurt pas ainsi !

Agité, torturé de ces inquiétudes, il allait et venait à pas pressés comme s’il eut pu trouver sur les murs de sa chambre l’éclaircissement de ses doutes. Le seul moyen de sortir de cette angoisse eût été d’aller lui-même au