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LES MENDIANTS DE PARIS

collèrent avec une indicible tendresse. Elle souleva un peu la tête ; ses cheveux étaient défaits ; elle les réunit dans sa main, et, ne pouvant plus parler, les approcha du cœur de Pierre, lui faisant signe ainsi de les conserver après elle. Puis, réunissant toutes ses forces, elle enlaça sa main à celle de Pierre et les éleva ensemble du côté où on apercevait le ciel.

Peu à peu le souffle de la mourante devenait plus plein, plus pénible ; sa paupière s’appesantissait ; elle mettait longtemps à se soulever pour laisser passer un triste regard.

Pierre suivait de l’œil ces signes de destruction. Muet, glacé, ses larmes ne coulaient plus ; à chaque défaillance de Marie, un frisson mortel parcourait ses veines, faisait trembler tout son corps. Il ne disait pas une parole, ne laissait pas échapper une plainte. Dans cette âme puissante, la douleur était trop auguste, trop grande, pour s’exhaler en soupirs, en gémissements : aucun de ces faibles signes de la désolation humaine n’aurait pu la contenir.

Mais à chaque souffrance de sa fille, de sa sœur, de sa femme adorée, il répétait le nom de Marie ! avec un accent dont la vibration suprême révélait tout ce qu’il y a de puissance en nous pour aimer et souffrir.

À la nuit, l’état de Marie devint cruel ; ses souffrances se mêlèrent de délire. L’influence de l’heure se faisait violemment sentir ; le retour des ombres la reportait au moment de son supplice, lui rappelait l’image de son bourreau. Ses yeux étaient hagards, son front couvert de sueur ; elle retrouvait des forces factices pour s’agiter, se tordre sur sa couche de douleur ; ses mouvements convulsifs, ses cris nerveux, ses bras crispés repoussaient quelque vision affreuse.

Mais tout à coup elle resta immobile et se pencha en arrière avec une molle douceur ; ses fibres se détendirent, ses traits se revêtirent d’un calme ineffable.

Son hallucination, suivant sans doute la route des souvenirs, venait d’arriver au moment de sa délivrance. Elle passa les mains dans ses cheveux, sur son visage ; puis, les laissant retomber, découvrit sa figure dans tout son charme angélique.

La beauté céleste répandue par la mort sur ces jeunes êtres qui quittent la terre dans toute leur pureté, cette sérénité indicible, cette espérance mystérieuse des derniers