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LES MENDIANTS DE PARIS

— Oh ! oui… je souffre trop… Ce ne peut être que la mort.

— Marie !… tais-toi !

— Mais non ! je ne peux pas mourir déjà… Si jeune et si heureuse !… Mon mariage !… Je dois être à toi, Pierre… être ta femme.

— Oui, ma femme bien-aimée !

— Je dois passer ma vie dans notre enclos, à travailler, à cultiver nos plantes… Cela m’est promis ! bien promis ! je pourrai voir encore verdir notre jardin, y vivre, y respirer, sentir son beau soleil, amasser nos récoltes… près de toi… les porter a notre bon père… Pitié ! pitié pour moi, mon Dieu ! je ne veux pas mourir !

Il est impossible de rendre les angoisses de Pierre tandis qu’elle parlait ainsi ; de Pierre, songeant à la fois à ce passé si beau, à ce moment présent marqué d’un coup si terrible, à l’avenir, qui n’était plus que la tombe… Souvenirs enchanteurs, regrets déchirants, visions horribles, tout se fondait en son âme pour la bouleverser et la torturer.

Au bout d’un instant, les yeux de Marie fixés dans l’espace reprirent un limpide éclat : quelques faibles nuances, les dernières de la vie, revinrent à ses joues, à ses lèvres ; un mouvement de délire lui offrait une heureuse image.

— Dieu m’a exaucée ! dit-elle ; je suis dans notre jardin, je le vois autour de moi… Il est plein de parfums, de lumière. Mais c’est étrange ! Je ne l’avais jamais vu si beau ! Le gazon est couvert d’une nappe argentée, il brille de mille rayons ; la verdure est grandie et semblé toucher au ciel ; les roses forment des voûtes sur ma tête ; je marche près de Pierre, et tandis que nous allons, le jardin s’étend devant nous… il n’a plus de fin ; on en voit à peine l’horizon qui se perd loin, bien loin, aux limites du ciel…

Marie joignit, les mains, jetant un cri de doux extase, et retomba évanouie sur son lit.

Vers la fin du jour, elle rouvrit les yeux ; mais tout était fini pour la pauvre enfant : les prunelles de ses yeux étaient pâles et couvertes d’ombres ; sa bouche sèche et livide n’exhalait plus que de faibles gémissements ; son cœur, épuisé de sang, allait cesser de battre.

Elle n’existait plus que pour aimer.

Ses lèvres allèrent chercher la main de Pierre et s’y