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LES MENDIANTS DE PARIS

répandait, autour de lui tant de douleur, qu’il y demeurait abîmé ; toute l’énergie de la passion était absorbée dans cette souffrance.

Il regardait la jeune fille les yeux humides de larmes brûlantes, il posait doucement la main sur son front, sur son cœur, et lui disait comme dans un soupir continuel :

— Mon enfant, que sens-tu ? Dis-moi ce qui te fait souffrir… Elle a froid, mon Dieu ! Viens contre moi, que je te réchauffe.

Puis, au bout d’un instant :

— Elle est oppressée, maintenant. Marie ! que puis-je faire pour te soulager ? Veux-tu de l’air ?… Veux-tu que je te tienne dans mes bras, vers la fenêtre ?… Mon Dieu, que puis-je faire !…

Puis il détournait la tête pour cacher son désespoir en disant en lui-même :

— Oh ! ma vie… Est-il possible, Dieu puissant, qu’il ne soit pas permis de donner sa vie, de la faire passer dans le sein d’une autre, de ranimer Marie avec tout le sang de mes veines.

La pauvre enfant avait souvent les traits contractés par de cruelles douleurs, puis elle regardait Pierre, fondait longtemps son regard dans le sien, et l’expression de la souffrance diminuait peu à peu ; elle faisait place à une ineffable lumière.

Le jour était beau. La cabane, à l’ombre, était encadrée de fraîche verdure, enveloppée d’agrestes parfums et de chants d’oiseaux. Un rayon de soleil pénétrait dans la chambre, où se dessinaient sur sa zone dorée des ombres gracieuses et frémissantes de rameaux d’arbres. Au bord de la croisée, les masses de feuillage, en s’entr’ouvrant parfois au souffle du vent, montraient ce beau ciel pur dont l’étendue semble grandir notre existence. Dans la nature tout parlait de bonheur. Les oiseaux tissaient leur nid, les plantes développaient leurs boutons en corolles radieuses. Rien ne se voilait de tristesse, rien ne priait, ne pleurait, rien ne préparait un linceul à Marie.

L’oubli ! c’était là ce que ces deux êtres, à qui il fallait si peu de chose, avaient demandé pour être heureux, et ils ne l’obtenaient que pour mourir.

Un moment la pauvre jeune fille ferma les yeux dans un sommeil accablé. Pierre marcha à pas lents dans la chambre.

Il avait cent fois rêvé à la petite chambre de Marie,