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LES MENDIANTS DE PARIS

J’étais perdue ! perdue !… Et tout à coup je me suis sentie sur ton cœur… C’était le ciel.

— Ange adoré !

— Tu sais, bien que je ne peux pas vivre sans toi. Enfant, j’étais livrée à la misère, à la faim, et tu m’as donné l’existence, tu me l’as faite douce, belle à ravir… tu m’as toujours ainsi gardée sous ton abri… Et ce soir, plus que jamais… Sur cette terre, tout bonheur vient par toi, mon ami, mon Dieu ! et sans toi, il n’y a que douleurs pour la pauvre Marie… Tu vois bien qu’il ne faut pas que tu me quittes.

Les traits de la jeune fille, déjà empreints d’une teinte morbide, exprimaient, tandis qu’elle parlait ainsi, tant d’exaltation, tant d’amour, de prière, que Pierre vit bien que s’il la laissait seule un instant, il ne la retrouverait pas vivante.

La nuit s’écoula ainsi.

Au point du jour, le mal avait fait des progrès rapides, et la lumière montrait les ravages opérés sur le visage de la mourante, le sceau fatal qui le marquait déjà. Pierre n’avait pas de secours étrangers à attendre : son père, la seule personne qui eût pu, inquiet de l’absence de ses enfants, venir à la cabane de Marie, avait dû, ce matin-là, s’absenter du village… Mais le malheureux ne désirait plus appeler personne a son aide ; il voyait bien alors que tout était fini, qu’il n’y avait plus que quelques heures d’agonie à compter, et que Marie n’avait plus besoin d’autres soins que des siens.

Penché sur la couche de la jeune fille, entourant sa tête de l’un de ses bras, l’autre main appuyée sur son cœur, les yeux fixés sur son front, il ne bougea plus.

On aurait pu dire qu’en ce moment Pierre mourait lui-même. Le lien occulte existant entre deux êtres qui s’aiment confond leurs âmes en une seule, et unit aussi toutes les sensations de leur être. Le jeune homme ressentait réellement en lui toutes les douleurs de la mourante, mais avec la force d’organisation qui les rendait cent fois plus cruelles, avec l’amour qui en faisait un martyre sans nom.

À cet instant, il ne voyait que Marie. Toute colère, toute idée de vengeance étaient bien loin de lui. Son esprit, absorbé par un si grand malheur, ne pouvait rien saisir au delà ; il ne savait plus ce qui s’était passé, plus ce qui avait amené le désastre… Marie mourait ! Cette pensée