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LES MENDIANTS DE PARIS

Comme le vieux François allait recommencer ses lamentations, Pasqual le tira à l’écart et lui dit :

— Écoute, je vais te raconter ce qui est arrivé. Comme réellement tu n’y vois goutte, le père Corbeau, quand les autres avaient le dos tourné, mettait la main dans ta sébile et prenait tes sous. Ton chien voyait cela depuis longtemps ; il en voulait à Corbeau et tâchait de l’attraper… Aujourd’hui, comme le vieux drôle avait la main au plat, ton caniche l’a saisi à la jambe, l’a mordu et remordu jusqu’au sang… Alors Corbeau a broyé le petit chien sous ses pieds, où il vient de rendre l’âme.

— Oh ! malheur ! s’écria l’aveugle ; mon pauvre chien… Où est-il cet affreux Corbeau ?… Je vais…

— Tu vas te taire et ne faire semblant de rien, parce que Corbeau est plus fort que toi et te pilerait comme ton chien… Ainsi va le monde, mon vieux.

Pasqual retourna tranquillement à sa place.

Là, on se pressait et on se poussait avec acharnement… C’était auprès de la grande porte, où on se trouverait sur le passage de la noce… Les injures, les coups de poings et de sabots allaient leur train… Pasqual vit la faible Jeanne (la vieille mendiante au visage pâle et aux vêtements de ferme claustrale) rudement ballottée par les camarades.

— Voulez-vous bien faire de la place à Jeanne ? dit-il d’un ton impérieux et en se servant de sa béquille comme un suisse de sa hallebarde : vous allez la renverser, cette pauvre femme.

— Oui-dà, dit-on ; une place au premier rang pour qu’elle attrape tout !

— Non, non, répondit d’une voix humble et douce la petite vieille en béguin noir… Vous savez… un petit coin à l’écart… ça me vaut mieux.

— Tu es si faible, pauvre Jeanne, reprit Pasqual.

— Ça irait encore, mais c’est le tremblement qui me tient dans les membres. Je vais là-bas m’adosser contre le mur, ajouta-t-elle en se retirant au fond du péristyle.

Un petit garçon, nommé Pierrot, et qui avait vécu jusque-là parmi les mendiants, courut vers la bonne femme en lui apportant une escabelle.

— Là, dit-il en posant le banc à terre ; asseyez-vous là-dessus, mère Jeanne ; vous serez bien gentiment.

Puis l’enfant, dont l’attention fut attirée à l’instant vers