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LES MENDIANTS DE PARIS

sérieux, mais doux et bienfaisant, c’est qu’il vivait auprès d’un père soumis à ses volontés, dans une profession paisible, où rien ne pouvait le contrarier que les nuages, au sein d’un amour dont il n’avait connu que les douceurs ; mais cette tranquillité était la surface immobile du feuillage dans le calme de l’air ; le moindre souffle pouvait la bouleverser.

Les propos légers d’un jeune homme du monde à une jolie paysanne lui parurent un projet de corruption profond et raffiné ; l’outrage prit à ses yeux des proportions colossales.

Cependant, après être resté quelques instants sombre et pensif, un sourire strident annonça la progression de sa pensée vers une joie cruelle.

Marie se mit à pleurer.

— Ô Pierre, dit-elle, qu’as-tu ?… je suis fâchée de t’avoir parlé de cela… Je ne veux plus aller au château… je ne veux plus qu’on pense au château…

— Si… au contraire… il faut y retourner demain… vendre les herbages comme ce matin, revenir par l’allée d’ormes comme ce matin… et t’arrêter près de ce monsieur, qui te parlera sans doute encore… comme ce matin !

— Y penses-tu, mon Dieu !

— Il te demandera sans doute de nouveau que tu lui procures une occasion de te voir seule, afin qu’il puisse librement te peindre son amour… C’est ainsi qu’il disait, n’est-ce pas ?

— Oui !… Mais tu me fais peur… de la manière dont tu répètes ces mots-là.

— Tu consentiras à le voir ?

— Pierre !… est-ce que ta raison se perd ?

— Tu lui indiqueras pour lieu de rendez-vous la petite auberge du Pigeon-Blanc… dans un cabinet particulier… une heure avant le jour…

Marie avait vaguement entendu parler du cabaret portant l’enseigne du Pigeon-blanc comme d’un lieu mal famé, où n’entraient que des femmes perdues.

Elle devint d’une rougeur brûlante, et s’écria :

— Oh ! cette affreuse maison.

— Sois tranquille, Marie ! dit le jeune homme d’un accent plein d’amour et d’une certaine solennité… Tu entends bien ! répéta-t-il, une heure avant le jour.

— Pourquoi ce moment ?