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C’était au lendemain de la guerre de 1870. Les douloureux événements de mai 1871 avaient ramené une fois de plus Corot dans le Nord. Il avait accepté l’hospitalité à Douai même ; M. et Mme Alfred Robaut l’avaient gardé plus de deux mois sous leur toit. Dès lors, la vie du lithographe subit une orientation nouvelle. Adieu les pierres et les presses ! Elles avaient servi naguère d’auxiliaires au crayon du copiste pour traduire et vulgariser quelques-uns des croquis magnifiques sortis, comme autant de fleurs éblouissantes, des cartons de Delacroix au jour de sa vente. Mais, à présent, le gendre de Dutilleux, l’héritier de sa religion artistique rêvait pour les deux figures qui la personnifiaient une apothéose magnifique, dépassant la sphère de ses travaux professionnels. Cette apothéose aurait pour cadre un catalogue descriptif et détaillé de leurs innombrables productions. La destinée ayant clos déjà l’œuvre d’Eugène Delacroix, ce fut celui-ci qui sollicita d’abord le soin pieux du travailleur. Pendant vingt ans, il chercha partout, nota et, ce qui surtout importe, reproduisit avec une fidélité exemplaire toutes les peintures et tous les dessins de l’artiste bien-aimé qu’il put rencontrer sur son chemin. Le livre ainsi composé, avec ses multiples et suggestives vignettes, est le résumé synthétique et vivant de toute la carrière du peintre ; c’est le répertoire complet de son talent.

« L’Œuvre de Delacroix » parut en 1885, mais M. Alfred Robaut n’avait pas attendit jusque là pour préparer son pendant, le « Corot ». Dès son arrivée à Paris en 1872, il avait conçu et commencé cet ouvrage parallèlement avec l’autre. La bienveillance que Corot ne cessa de lui témoigner lui facilita la tâche. La porte de l’atelier s’ouvrit à ses investigations ; la mémoire du maître fut mise à contribution par un infatigable interrogateur. En même temps, le crayon marchait et, avec l’aide de la chambre claire, une main habile et experte fixait l’aspect des tableaux un instant apparus devant elle. Il y a plus. Des centaines d’études, datant de toutes les époques de sa vie, étaient conservées par Corot au long des murs ou dans les armoires de son atelier. Un beau matin, le fanatique paya d’audace ; il obtint du peintre l’autorisation de faire du tout un paquet et d’emporter ce paquet devant un objectif de photographe. Ce photographe