Page:Rivoire - Berthe aux grands pieds, 1899.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
10
BERTHE AUX GRANDS PIEDS

Et Berthe dit : « Ma mère, on croirait que le soir
Est triste d’une absence et vide d’un espoir ;
En vain, mon œil s’attache aux plis de la colline ;
Personne ne viendra, personne n’est venu ;
Ma jeunesse est stérile et mon cœur méconnu ;
Je vous aime, et pourtant je me sens orpheline.

« J’espère encore, et me sens triste d’espérer ;
Je voudrais être seule et je voudrais pleurer :
Quelque chose en mon cœur se lamente et s’étonne.
Qu’ai-je fait de ce jour qui penche à son déclin ?
J’ai brodé de la toile et j’ai filé du lin.
Mon printemps est pensif et las, comme un automne.

« Pourquoi ne suis-je pas fille de pauvres gens ?
Légère sous le poids des labeurs diligents,
L’hiver au coin de l’âtre où pétillent les bûches,
Et l’été dans la plaine où flambent les midis,
Ma beauté serait fraîche et mes gestes hardis ;
J’aurais vécu des jours sans rêve et sans embûches.