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Au printemps de l’année 1838, Valmore et sa femme se trouvaient dans une situation désespérée. Valmore venait d’apprendre que le théâtre de l’Odéon, dont il était le régisseur, allait être fermé. C’était la misère. Sans réfléchir, sans écouter les conseils d’amis dévoués et clairvoyants, il accepta les offres qui lui furent faites d’entrer dans une troupe ambulante, qui devait aller jouer en Italie, à l’occasion du couronnement de l’empereur Ferdinand, comme roi de Lombardie. Des représentations devaient être données à Milan, puis à Gênes, à Rome, à Naples. Les appointements étaient de 7 000 francs. Il partit, emmenant sa femme et ses deux filles, laissant son fils Hippolyte en pension, à Grenoble, chez le généreux M. Froussard.

Dès son arrivée à Milan, Marceline s’aperçut qu’elle n’avait fait que changer de misère. Les appointements de son mari lui suffisent à peine — encore n’en touchera-t-il qu’un mois — tant le prix de toutes choses est exorbitant[1]. Il lui faudra se contenter d’une chambre, donnant sur une cour, éclairée par une seule fenêtre. Pour horizon, un platane et des murs ruisselants d’humidité. Même, la maison qu’elle habite se trouve-t-elle à l’extrémité de la ville, près du taudis réservé aux représentations de la troupe française. Le Grand Théâtre est occupé par la troupe italienne ; on abandonne aux acteurs étrangers des tréteaux de saltimbanque dans un quartier où personne ne s’aventure. Peu de temps après l’impresario s’enfuit, laissant ses artistes sans ressources. Il faudra que Mlle Mars donne des représentations, pour leur permettre de regagner la France.

Marceline suivit son mari, sans enthousiasme. Il fallait vivre. « Venir en Italie[2], écrit-elle à son amie Mme Pauline Du Chambge, pour guérir un cœur blessé à mort d’[amour][3], c’est étrange et fatal. » L’impression première fut pénible. « Tous les accents qui m’entourent me semblent des cris sauvages. Je m’imagine qu’ils jouent la comédie. La divina lingua est une des plus rudes choses de ce monde. On ne comprend pas les nègres en arrivant aux colo-

  1. Quelques autographes. Douai, 1910.
  2. Correspondance intime de Marceline Desbordes-Valmore, I, p. 120.
  3. Le mot a été découpé.