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xiv
DE L'UNIVERSALITÉ


la hardiesse des inversions, choses précisément opposées à son génie. Le ciel fut porte-flambeaux, Jupiter lance-tonnerre ; on eut des agnelets doucelets ; on fit des vers sans rime, des hexamètres, des pentamètres ; les métaphores basses ou gigantesques se cachèrent sous un style entortillé ; enfin ces poëtes parlèrent grec en français, et de tout un siècle on ne s’entendit point dans notre poésie. C’est sur leurs sublimes échasses que le burlesque se trouva naturellement monté, quand le bon goût vint à paraître.

A cette même époque, les deux Reines Médicis donnaient une grande vogue à l’italien, et les courtisans tâchaient de l’introduire de toute part dans la langue française. Cette irruption du grec et de l’italien la troubla d’abord ; mais, comme une liqueur déjà saturée, elle ne put recevoir ces nouveaux élémens : ils ne tenaient pas ; on les vit tomber d’eux-mêmes.

Les malheurs de la France sous les derniers Valois, retardèrent la perfection du langage ; mais la fin du règne de Henri IV et celui de Louis XIII, ayant donné à la nation l’avant-goût de son triomphe, la poésie française se montra d’abord sous les auspices de son propre génie. La prose plus sage ne s’en était pas écartée comme elle ; témoins Amiot, Montagne et Charon ; aussi, pour la première fois peut-être, elle précéda la poésie qui la devance toujours.

Il manque un trait à cette faible esquisse de la langue romance ou gauloise. On est persuadé que nos pères étaient tous naïfs ; que c’était un bienfait de leur tems et de leurs mœurs, et qu’il est encore attaché à leur langage : si bien que certains auteurs empruntent aujourd’hui leurs tournures, afin d’être naïfs aussi. Ce sont des vieillards qui, ne pouvant parler en hommes, bégayent pour paraître enfans : le naïf qui se dégrade, tombe dans le niais. Voici donc comment s’explique cette naïveté gauloise.

Tous les peuples ont le naturel : il ne peut y avoir qu’un siècle très-avancé qui connaisse et sente le naïf. Celui que nous trouvons et que nous sentons dans le style de nos ancêtres, l’est devenu pour nous ; il n’était pour eux que le naturel. C’est ainsi qu’on trouve tout naïf dans un enfant qui ne s’en doute pas. Chez les peuples perfectionnés et corrompus, la pen-

    Et ceux-ci qui sont de l’an 1225 :

    Chacun pleure sa terre et son pays,
    Quand il se part de ses joyeux amis ;
    Mais il n’est nul congé, quoiqu’an en die,
    Si douloureux que d’ami et d’amie.

    On croit entendre Voiture ou Chapelle. Comparez maintenant ces vers de Ronsard, qui peint la fabrique d’un vaisseau.

    Fait d’un art maistrier,
    Au ventre creux et d’artifice prompt,
    D’un bec de fer leur aiguise le front.
    etc. etc. etc.

    Ou ceux-ci, dans lesquels le grec lui échappe tout pur :

    Ah ! que je suis marri que la muse françoise
    Ne peut dire ces mots ainsi que la grégeoise :
    Ocymore, dispotme, oligochronien :
    Certes je le dirois du sang Valésien.

    Et ceux d’un de ses contemporains sur l’alouette :

    Guindée par zéphire,
    Sublime en l’air vire et revire,
    Et y déclique un joli cri,
    Qui rit, guérit et tire l’ire
    Des esprits, mieux que je n’écris.

    Ces poëtes, séduits par le plaisir que donne la difficulté vaincue, voulurent l’augmenter encore, afin d’accroître leur plaisir ; et de-là vinrent les vers monorimes et monosyllabiques ; les échos, les rondeaux et les sonnets, que Boileau a eu le malheur de tant louer. Tout leur art poétique roula sur cette multitude de petits poëmes, qui n’avaient de recommandable que les bizarres difficultés dont ils étaient hérissés, et qui sont presque tous inintelligibles.