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plus étroitement sa pensée & la conduit par le plus court chemin ; tandis que le Versificateur laisse flotter les rênes, & va où la rime le pousse. Notre prose s’enrichit de tous les trésors de la poésie ; elle poursuit le vers dans toutes ses hauteurs, & ne laisse entr’elle & lui que la rime. Etant donnés à tous les hommes, elle a plus de Juges que la versification, & sa difficulté se cache sous une extrême facilité. Le Versificateur enfle sa voix, s’arme de la rime & de la mesure, & tire sa pensée du sentier vulgaire : mais que de foiblesses ne cache pas l’art des vers ! La prose accuse le nud de la pensée ; il n’est pas permis d’être foible avec elle. Selon Denys d’Halycarnasse, il y a une prose qui vaut mieux que les meilleurs vers, & c’est elle qui fait lire les grands ouvrages ; parce que la variété de ses périodes lasse moins que le charme continu de la rime & de la mesure. Et qu’on ne croye pas que je veuille par-là dégrader les beaux vers : ainsi que la Musique, ils sont un véritable présent de la Nature. L’éloquence a plus d’une route, & l’éloquence en vers est admirable ; mais leur méchanisme fatigue, sans offrir à l’esprit des tournures plus hardies : dans notre Langue sur-tout, où les vers semblent être les débris de la prose qui les a précédés ; tandis que chez les Grecs, Sau-