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la force à des paroles sans couleur et d’affoiblir les expressions fortes : preuve incontestable qu’elle est elle-même une Langue à part, & qu’elle repousse tout ce qui veut partager l’empire des sensations avec elle. Qu’Orphée redise sans cesse : J’ai perdu mon Euridice, la sensation grammaticale d’une phrase tant répétée sera bientôt nulle, & la sensation musicale ira toujours croissant. Et ce n’est point, comme on l’a dit, parce que les mots Français ne sont pas sonores que la Musique les repousse ; c’est parce qu’il offrent l’ordre & la suite quand le chant demande le désordre & l’abandon. La Musique doit bercer l’ame dans le vague et ne lui présenter que des motifs : Malheur à celle dont on dira qu’elle a tout défini !

Mais si la rigide construction de la phrase gêne la marche du Musicien, l’imagination du Poëte est encore arrêtée par le génie circonspect de la langue. Les métaphores des Poëtes étrangers ont toujours un degré de plus que les nôtres[1]  ; ils serrent le style figuré de plus près, et leur poésie est plus haute en couleur. Il est généralement vrai que les figures orientales étoient folles, que celles des Grecs et des Latins ont été hardies, et que les nôtres

  1. Virgile dit, par exemple Capulo tenus abdidit ensem, il cacha son épée dans le sein de Priam ; & nous disons, il renfonça ; or il y a un degré entre enfoncer & cacher, & nous nous arrêtons au premier.