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solider le nouvel État, & pour bien fondre ensemble les idiomes & les familles des Vainqueurs & des Vaincus. Mais on est étonné quand on voit qu’il a fallu plus de mille ans à la Langue Française, pour arriver à sa maturité. On ne l’est pas moins quand on songe à la prodigieuse quantité d’Ecrivains qui ont fourmillé dans cette Langue depuis le cinquieme siecle jusqu’à la fin du seizieme, sans compter ceux qui écrivoient en Latin. Quelques monumens qui s’élevent encore dans cette mer d’oubli, nous offrent autant de Français différens[1]. Les changements & les révolutions de la Langue étoient si brusques que le siecle où on vivoit dispensoit toujours de lire les ouvrages du siecle précédent. Les Auteurs se traduisoient mutuellement[2] de demi-siecle en demi-siecle, de patois en patois, de vers en prose : & dans cette longue galerie d’Ecrivains, il ne s’en trouve pas un qui n’ait cru fermement que la Langue étoit arrivée pour lui à sa derniere perfection. Paquier affirmoit de son tems, qu’il ne s’y connaissoit pas, ou que Ronsard avoit fixé la Langue Française.

À travers ses variations, on voit cependant combien le caractère de la Nation influoit sur elle : la construction de la phrase fut toujours directe & claire. La Langue Française n’eut donc

  1. Celui de Saint-Louis, des Romanciers d’après, d’Alain-Chartier, de Froissard ; celui de Marot, de Ronsard, d’Amiot ; & enfin la Langue de Malherbe, qui est la nôtre. On trouve la même bigarrure chez tous les Peuples. Le Latin des douze Tables, celui d’Ennins, celui de César, & enfin la Latinité du moyen âge.
  2. Le Roman de la Rose, traduit plusieurs fois, l’a été en prose par un petit Chanoine du quatorzieme siecle. Ce Traducteur jugea à propos de faire sa Préface en quatre vers, que voici :

    Cy est le Roman de la Rose.
    Qui a été clair & net,
    Translaté de vers en prose
    Par votre humble Moulinet.