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MORCEAUX CHOISIS

Puis, bientôt s’éveillant, prise d’un souvenir,
Elle accostait encor les passants, triste et lente ;
Son visage à l’instant savait se rembrunir
Et sa voix se traînait et larmoyait dolente !

Mais quand elle arriva vers moi, tendant la main,
Avec ses yeux mouillés et son air de détresse :
« Non ! lui dis-je. Va-t’en ! et passe ton chemin !
Je te suivais : il faut pour tromper plus d’adresse.

« Tes parents t’ont montré cette douleur qui ment !
Tu pleures maintenant : tu chantais tout à l’heure ! »
L’enfant leva les yeux et me dit simplement :
« C’est pour moi que je chante, et pour eux que je pleure. »

Eugène Manuel.


LA CHASSE


J’étais encore enfant ; un matin, sous la tente,
Mon père, l’œil en feu, la gorge haletante,
Rentra, jeta son arc et ses traits, et me dit :
« Yakoub, par Mahomet ! ce canton est maudit ;
Chaque nuit, mon troupeau d’un mouton diminue.
La lionne au bercail est encor revenue :
Sur le sable j’ai vu ses pas appesantis.
Sans doute dans quelque antre elle a quelques petits… »
Je ne répondis rien ; mais, quand sortit mon père,
Je pris l’arc et les traits, et, courbé vers la terre,
Je suivis la lionne. Elle avait traversé
Le Nil : au même endroit qu’elle je le passai ;
Elle avait au désert cru me cacher sa fuite :
J’entrai dans le désert, ardent à sa poursuite ;
Elle avait, évitant le soleil au zénith,
Cherché de l’ombre au pied du grand sphinx de granit,
De l’antique désert antique sentinelle :
Comme elle fatigué, je m’y couchai comme elle…