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MANUEL DE LA PAROLE

Et pour te faire choir, je n’aurais aujourd’hui
Qu’à retirer la main qui seule est ton appui.
J’aime mieux toutefois céder à ton envie ;
Règne, si tu le peux, aux dépens de ma vie ;
Mais oses-tu penser que les Serviliens,
Les Cosses, les Métels, les Pauls, les Fabiens,
Et tant d’autres enfin de qui les grands courages
Des héros de leur sang sont les vives images,
Quittent le noble orgueil d’un sang si généreux
Jusqu’à pouvoir souffrir que tu règnes sur eux ?
Parle, parle, il est temps.

Corneille.


MOISSON D’ÉPÉES


Dans un bourg sur la Loire, on conte que naguère
La Pucelle passa sur sa jument de guerre
Et dit aux habitants ; « Armez-vous et venez. »
Un échevin, suivi de vieillards consternés,
Lui répondit : « Hélas ! pauvres gens que nous sommes !
Les Anglais ont tué les meilleurs de nos hommes.
Hier ils étaient ici. Le cheval de Talbot
Dans le sang de nos fils a rougi son sabot.
Seuls, nous leur survivons, vieux, orphelins et veuves,
Et notre cimetière est planté de croix neuves. »

Mais la brave Lorraine, aux regards triomphants,
S’écria : « Venez donc, les vieux et les enfants ! »

L’homme reprit, les yeux aveuglés par les larmes :
« Hélas ! les ennemis ont pris toutes nos armes,
La dague avec l’estoc, les flèches avec l’arc.
Nous voudrions vous suivre, ô bonne Jeanne d’Arc !
Mais nous n’avons plus même un couteau. » La Pucelle
Joignit alors les mains, tout en restant en selle,
Et, quand elle eut prié : « Tu m’as bien dit, je crois,
Que votre cimetière était rempli de croix ?
— Je l’ai dit. — Eh bien donc, allons au cimetière. »