Page:Rivard - Manuel de la parole, traité de prononciation, 1901.djvu/268

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
MANUEL DE LA PAROLE

Avec leurs beaux grands yeux d’enfants, sans peur, sans fiel
Qui semblent toujours bleus, tant on y voit le ciel !
Les petits — quand on est petit, on est très brave —
Grimpent sur mes genoux ; les grands ont un air grave ;
Ils m’apportent des nids de merles qu’ils ont pris,
Des albums, des crayons qui viennent de Paris ;
On me consulte, on a cent choses à me dire,
On parle, on cause, on rit surtout ; j’aime le rire,
Non le rire ironique aux sarcasmes moqueurs,
Mais le doux rire honnête ouvrant bouches et cœurs,
Qui montre en même temps des âmes et des perles.

J’admire les crayons, l’album, les nids de merles,
Et quelquefois on dit, quand j’ai bien admiré :
« Il est du même avis que monsieur le curé. »
Puis, lorsqu’ils ont jasé tous ensemble à leur aise,
Ils font soudain, les grands s’appuyant à ma chaise,
Et les petits toujours groupés sur mes genoux,
Un silence, et cela veut dire : Parle-nous.

Je leur parle de tout. Mes discours en eux sèment
Ou l’idée ou le fait. Comme ils m’aiment, ils aiment
Tout ce que je leur dis. Je leur montre du doigt
Le ciel, Dieu qui s’y cache, et l’astre qu’on y voit.
Tout, jusqu’à leur regard, m’écoute. Je dis comme
Il faut penser, rêver, chercher. Dieu bénit l’homme,
Non pour avoir trouvé, mais pour avoir cherché.
Je dis : Donnez l’aumône au pauvre humble et penché.
Recevez doucement la leçon ou le blâme.
Donner et recevoir, c’est faire vivre l’âme.
Je leur conte la vie, et que, dans nos douleurs,
Il faut que la bonté soit au fond de nos pleurs,
Et que, dans nos malheurs, et que, dans nos délires,
Il faut que la bonté soit au fond de nos rires ;
Qu’être bon, c’est bien vivre ; et que l’adversité
Peut tout chasser d’une âme, excepté la bonté.

V. Hugo.