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MANUEL DE LA PAROLE

Se fit un piédestal d’une borne en ruine,
Et sur ce dur tréteau s’élança radieux ;
Puis, pour se mieux complaire en sa métamorphose ;
Se drapant dans les plis de son ajustement,
D’un vieux consul romain il prit la noble pose
Et, d’aplomb sur ses pieds, se campa fièrement.

Dès qu’il fut bien posté sur ce trône rustique,
Ferme et droit comme un pieu dans la terre enfoncé,
Immobile surtout comme un pilier gothique,
Ou bien comme un pantin dont le fil est cassé,
Notre héros, ce niais, ce bélître, cet âne,
Attendit plein d’espoir et pressé d’en finir.
Le bonhomme eût voulu connaître la sœur Anne,
Pour lui dire : « Ma sœur, ne vois-tu rien venir ? »

Enfin quelqu’un passa ; c’était le beau Léandre.
Ce burlesque Narcisse, après s’être admiré,
Jeta sur la statue un regard doux et tendre
Que pour sa chère image il avait préparé.
Quant à l’ami Pierrot, il aspirait d’avance
L’encens de la louange et déjà s’enivrait
De ce parfum d’orgueil dont l’homme abuse en France,
Et, pour s’en mieux repaître, il se tenait tout prêt.

« Oh ! s’écria Léandre, ajustant sa frisure,
Quel est donc le maraud, le cuistre, le pendard,
Qui fit effrontément une pareille ordure !
Cet artiste, à coup sûr, ne savait point son art.
Son bonhomme est fort laid ; le plus pauvre invalide
Est cent fois mieux bâti dans sa difformité.
Le torse est ridicule, et la tête est stupide.
Pour une telle horreur, que de marbre gâté !

« Adieu, maigre statue, il faudra te refaire. »
Et Léandre partit après ce dernier mot.
Quant à Pierrot, ma foi, messieurs, en cette affaire,
Je vous laisse à penser ce que pensa Pierrot.