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MORCEAUX CHOISIS

« Donc je sais un héros ! Tout héros qu’on renomme
Doit savoir à peu près ce qu’on pense de lui ;
L’homme, si grand qu’il soit, n’en est pas moins un homme,
Et l’orgueil ici-bas est son plus ferme appui.
La gloire sans éclat, c’est l’ombre, le silence,
La chanson sans écho, le miroir sans reflet ;
À quoi bon et pourquoi ? Rien n’est plus doux, je pense,
Que d’entendre le bruit qu’autour de soi l’on fait. »

Après ce long discours, pour mieux reprendre haleine,
Pierrot, l’ami Pierrot, prestement avisa
Au fond d’un buffet noir une bouteille pleine.
Alors, pleine il la prit et vide il la posa.
Après quoi, mieux lesté, recouvrant la parole,
Il dit : « C’est décidé, je poursuis mon projet. »
Et mettant son chapeau, comme un oiseau s’envole,
Il quitta sa maison, le vieux-mauvais sujet.

« Pour connaître, dit-il, en somme il faut apprendre ;
Pour apprendre, écouter ; de plus, retenir. Bien !
Le tout est de savoir comment je dois m’y prendre…
Aidez-moi, mon cerveau, je n’y comprends plus rien. »
De nouveau, le cher homme interrompt sa harangue,
Mais sans boire : un ruisseau seul à ses pieds coulait…
Et, sur sa bouche en cœur faisant glisser sa langue,
Il redit : « Aidez-moi, mon cerveau, s’il vous plaît. »

Soudain, aplatissant sa coiffure pointue
Sur son front : « J’ai trouvé ! s’écria-t-il, joyeux.
De mon individu faisons une statue,
Et soyons attentif de l’oreille et des yeux.
Les badauds, me croyant ou de marbre ou de plâtre,
Diront sans hésiter si je leur plais ou non,
Et sur mon piédestal, encor mieux qu’au théâtre,
J’entendrai les récits que l’on fait sur mon nom. »

Sur ce, l’ami Pierrot, tout rempli de farine,
Tout pimpant, tout gonflé d’orgueil et de vin vieux,