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MANUEL DE LA PAROLE

Il est de ces douleurs qu’on ne console pas !
Si vous avez perdu ces chers petits qu’on pleure
Toujours, vous comprendrez l’angoisse de cette heure,
Les tortures sans nom de ce cœur déchiré.
L’enfant, pâle, semblait, contre son sein serré,
Dormir comme autrefois ; et des paupières creuses
De la femme, je vis, grosses, silencieuses,
Des larmes qui glissaient sur l’or des oripeaux.
Pour l’homme, il se tenait assis près des tréteaux,
La tête dans ses mains larges et frémissantes,
Morne, regardant, près des torches pâlissantes,
Briller les quelques sous des badauds dispersés…
Les ombres de la nuit, bientôt, des cieux glacés
Sur ce groupe éploré lentement descendirent,
Les bruits de la cité tout là-bas se perdirent,
Et l’on n’entendit plus de sanglots… que les miens.
— Mon Dieu, prenez pitié des petits bohémiens !

Amédée Béesau.


LE GUÉ


Ils tombent épuisés, la bataille était rude.
Près d’un fleuve, au hasard, sur le dos, sur le flanc,
Ils gisent, engourdis par tant de lassitude
Qu’ils sont bien dans la boue et dans leur propre sang.

Leurs grandes faux sont là, luisantes d’un feu rouge,
En plein midi. Le chef est un vieux paysan,
Il veille. Or il croit voir un pli du sol qui bouge…
Les Russes. Il tressaille et crie : « Allez-vous-en… »

Il les pousse du pied. « Ho ! mes fils, qu’on se lève ! »
Et chacun, se dressant d’un effort fatigué,
Le corps plein de sommeil, et l’esprit plein de rêve,
Tâte l’onde et s’y traîne à la faveur d’un gué.