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MANUEL DE LA PAROLE

Depuis trente-trois ans, devint homme, et la crainte
Serra son cœur mortel d’une invincible étreinte.
Il eut froid. Vainement il appela trois fois :
« Mon Père ! » Le vent seul répondit à sa voix.
Il tomba sur le sable assis, et, dans sa peine
Eut sur le monde et l’homme une pensée humaine.
Et la terre trembla, sentant la pesanteur
Du Sauveur qui tombait aux pieds du Créateur.

Alfred de Vigny.


LE CID


Un soir, dans la Sierra, passait Campéador ;
Sur sa cuirasse d’or le soleil mirait l’or
Des derniers flamboiements d’une soirée ardente
Et semblait du héros la splendeur flamboyante !
Il n’était qu’or partout, du cimier aux talons ;
L’or des cuissards froissait l’or des caparaçons ;
Des rubis grenadins faisaient feu sur son casque.
Mais ses yeux en faisaient plus encor sous son masque…
Superbe, et de loisir, il allait sans pareil,
Et n’ayant rien à battre, il battait le soleil !

Et les pâtres perchés aux rampes des montagnes,
Se le montraient flambant, au loin dans les campagnes,
Comme une tour de feu, ce grand cavalier d’or,
Et disaient : « C’est saint Jacques ou bien Campéador, »
Confondant tous les deux dans une même gloire,
L’un pour mieux l’admirer, l’autre pour mieux y croire.
Or, comme il passait là, magnifique et puissant,
Et calme, et grave, et lent, le radieux passant
Entendit dans le creux d’un ravin solitaire,
Une voix qui semblait, triste, sortir de terre !
Et c’était, étendu sur le sol, un lépreux,
Une immondice humaine, un monstre, un être affreux,