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MANUEL DE LA PAROLE

visage, ses griffes s’abaissèrent sur ma tête : alors je tirai mon glaive, et, me couvrant de mon bouclier, je m’élançai sur mon terrible adversaire, car il m’était livré ; j’avais deviné l’énigme. Mon fer s’enfonça dans je ne sais quoi qui n’existait plus : tout avait disparu comme une vision. Néanmoins mon glaive dégouttait d’un sang immonde, et j’avais entendu un bruit faible, mais sinistre, tout semblable au râle d’un homme qu’on égorgerait dans les bras du sommeil. »

Ballanche.


LE VIEILLARD ET LES TROIS JEUNES HOMMES


DisaiUn octogénaire plantait :
« Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge ! »
Disaient trois jouvenceaux, enfants du voisinage :
DisaiAssurément il radotait.
Disai « Car, au nom des dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir,
Autant qu’un patriarche il vous faudrait vieillir.
DisaiÀ quoi bon charger votre vie
Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées ;
Quittez le long espoir et les vastes pensées ;
DisaiTout cela ne convient qu’à nous.
Disai— Il ne convient pas à vous-mêmes,
Repartit le vieillard. Tout établissement
Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d’un second seulement ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage :
DisaiHé bien ! défendez-vous au sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui.