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MANUEL DE LA PAROLE

Les chevaux de bois ! Eh bien, oui, c’étaient eux, les fringants coursiers de tout enfant qui a un sou dans sa poche ! Institution démocratique, s’il en fut. La blouse de toile et la casquette râpée y galopent à côté de la robe de soie et de la toque à plumes. Les apprentis qui sortent de l’atelier ne résistent guère à la tentation de faire quelques tours de manège en plein vent, et les jeunes ouvrières se tiennent sur leur raide monture aussi fièrement que la plus élégante amazone sur son cheval pur sang.

La cavalcade allait finir, car le mouvement se ralentissait, et on lisait sur le visage des écuyers le regret qui commençait à effacer le plaisir. Déjà ! disait l’air rêveur qui se répandait sur ces figures roses.

Sur un banc, tout près, une petite fille était assise. Elle pouvait avoir cinq ou six ans, quoiqu’elle fût bien petite pour son âge, mais son pauvre corps chétif, maigre, couvert de haillons et nourri de misère, n’avait sans doute pas pu grandir assez vite. Elle regardait de tous ses yeux, comme on regarderait un palais de fée, ce plaisir qu’elle n’avait jamais eu, car la poche de sa pauvre robe n’avait sûrement jamais contenu un sou. Et pourtant, monter sur un de ces beaux chevaux ! le blanc à housse rouge !… non, le noir à housse jaune plutôt, tourner avec lui, vite, vite, longtemps, au son de la musique ; voir tout tourner autour de soi ! Cela lui semblait un rêve insensé, mais si beau !

Excusez-la, cette pauvre enfant ! Qui de nous n’a rêvé des ailes, au moins une fois dans sa vie ?

Elle était là ; les enfants descendaient ; la musique s’était tue ; d’autres enfants s’empressaient de monter à leur tour, et quelques mères un peu lasses vinrent s’asseoir, non sans regarder de côté et ranger les plis de leur robe le plus loin de la petite. « Ôte-toi donc de là, lui dit une bonne ; tu vois bien que tu prends de la place. » Elle se leva sans rien dire et s’en alla un peu plus loin, tout doucement.

Les larmes m’en vinrent aux yeux.