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MANUEL DE LA PAROLE

Aujourd’hui plus de course, et plus de longs détours ;
Toutes en se suivant mesuraient leurs pas lourds,
En ordre, comme nous aux jours des funérailles.
Toutes, loin de la ville et loin de leurs murailles,
Tristes comme il convient au deuil d’une fourmi,
Accompagnaient le corps d’un frère, d’un ami ;
Et moi, de leur convoi j’admirais l’ordonnance.

La tombe était au pied d’une verte éminence,
Où deux chardons, couvrant au loin le noir caveau,
Prêtaient leur pyramide au Pharaon nouveau.
Traîné par les géants de l’humble colonie,
Sur le funèbre char d’une feuille jaunie,
Le cadavre sortait du palais souterrain
Et roulait, cahoté par les plis du terrain,
Entre les rangs émus de l’assistance amie.
Le défilé dura près d’une heure et demie ;
Le chemin était rude et les arrêts fréquents ;
Là, c’était un Caucase, et plus loin des Balkans.
Or, juste à quatre pas du lieu de sépulture,
Le deuil faillit tourner en tragique aventure.
En face des porteurs, glissant sur le gazon,
Passait une limace énorme et sa maison.
L’obstacle était étrange et presque infranchissable ;
Mais vingt pionniers roulant une charge de sable,
Sur la route du monstre étagent un rempart ;
La limace recule, et le convoi repart.
Ulysse eût-il fait mieux dans les plaines de Troie ?

On arrive à la fosse ; elle reçoit sa proie ;
Le char, le mort ensemble y tombent à l’envers,
Comme fit l’autre jour feu Monsieur de Boufflers.[1]
On se hâte, on recouvre avec des feuilles mortes
Le cadavre et la bière ; et l’on ferme les portes.
Un groupe de parents erre encore à l’entour ;
D’autres, les vieux, ont pris les sentiers du retour,

  1. Voir la lettre de Mme de Sévigné, 20 fév. 1672.