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SOCIÉTÉ ROYALE DU CANADA


Le vers qu’il aime, c’est

Le vers qui vient quand on l’appelle.


Et si Nodier a dit :

Le simple est tout près du sublime ?


Legendre n’a-t-il pas écrit :

Le simple, est tout près du sublime ?


La simplicité, voilà donc la qualité première de son style, qu’il écrive en prose ou en vers. C’est un genre que les virtuoses de la littérature trouvent un peu passé, mais dont on goûte toujours le charme.

Un critique y trouvait naguère matière à reproche. Il avait lu Annibal : « Je me demande, écrivait-il, si cette nouvelle est à l’adresse des adultes ou des enfants. On dirait un récit de grand-papa à ses petits-enfants, et néanmoins j’incline à croire que Legendre voulait écrire pour les grandes personnes. » Entendons-nous. Qu’est-ce qu’une « grande personne » ? Les « grandes personnes » ne savent-elles goûter que les tours éclatants, les phrases ciselées ? Ne se plaisent-elles qu’au style tourmenté, à la coloration artificielle, à l’instrumentisme, à l’orchestration des mots ? Et ne trouvent-elles pas aussi quelque charme dans l’expression touchante d’une âme ennemie de toute névrose ?… En ce cas, j’inclinerais à croire que les « grandes personnes » sont les héritières des pédants et des rhéteurs. Legendre, en effet, n’écrivait pas ses contes en prose pour elles, mais bien plutôt pour les enfants, pour les « grands et les petits enfants, » comme il l’a dit lui-même,[1] c’est-à-dire pour tous ceux qui prendraient un plaisir extrême, si Peau-d’Âne leur était conté. Plaire aux « grandes personnes » qui ne savent pas entendre Peau-d’Âne était le moindre des soucis de Legendre ; mieux encore, il eût été désolé, si ses contes leur avaient plu.

Prenons garde à juger un écrivain suivant le genre qu’il a cultivé, à le voir dans la sphère où il s’est lui-même placé. Dire d’une colline qu’elle est plus haute que les autres et plus fraîche, ce n’est pas la comparer à la Jung-Frau et à ses glaciers. Vanter la grâce et l’élégance de l’hirondelle, ce n’est pas prétendre qu’elle égale l’aigle en son vol. De même, il est permis de trouver que Legendre est un aimable poète et un conteur fort agréable, sans par là faire entendre qu’on l’égale aux plus grands, ni que lui-même n’eût pu faire mieux.

Le certain, c’est que Legendre avait un talent poétique peu commun, une culture générale rare chez les nôtres, un goût délicat et d’une

  1. Mél., p. 105.