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LEGENDRE

paysan canadien. Mais il a pris tous ses motifs autour de lui, et c’est vers les petits et vers les humbles de chez nous qu’il s’est penché.

Crémazie est l’aède d’un patriotisme qui se souvient et espère toujours ; Fréchette, le chantre de l’épopée française en Amérique ; Lemay, le poète de l’idylle et de l’églogue canadiennes ; — Legendre est le poète de la famille et du foyer de chez nous.

Il n’a pas inventé ce genre de poésie ; mais il n’a rien emprunté à l’art fin des poèmes de France. Aucune influence d’outre-mer, chez lui. C’était pourtant un esprit d’une culture peu commune et à qui rien n’était étranger des chefs-d’œuvre de la poésie française ; mais il n’avait pas cette espèce de mémoire « trop fidèle à retenir et à s’assimiler de jolies choses déjà lues. » Les fines ressources de l’art ne lui étaient pas inconnues, et ses intimes l’ont vu souvent se jouer des difficultés de facture ; mais, la plume à la main, dédaignant la jonglerie des mots et les virtuosités du métier, il se tenait dans une gamme de tons doux et argentins. Ce lettré, qui savait par cœur tant de vers et dont la conversation était pleine de réminiscences littéraires, paraissait, dès qu’il se mettait à écrire, avoir soudain tout oublié ; il échappait sans effort à l’influence de ses lectures, et n’obéissait plus qu’à sa propre inspiration. Pour le fonds comme pour la forme, on peut dire qu’il n’a fait oublier personne, mais aussi qu’il ne s’est souvenu de personne. S’il ressemblait à quelqu’un, ce serait à Brizeux. Et qu’on entende bien que je ne prétends pas hausser Legendre jusqu’à le comparer au chantre de Marie ; je cherche seulement, par un rapprochement, à caractériser sa manière. Il n’a pas la puissance évocatrice de l’auteur des Bretons, ni l’élégance raffinée qu’on admire dans le recueil de la Fleur d’or, ni surtout l’art patient et laborieux des Histoires poétiques ; ses ressources sont plus restreintes, son souffle plus court. Mais comme celle de Brizeux, la muse de Legendre est pure, familière et discrète ; elle aime les âmes neuves, les émotions dont la douceur ne laisse pas d’être pénétrante, les joies intimes et les tristesses résignées.

Sincère comme je l’ai dit, Legendre ne devait pas, pour rendre ses inspirations très simples, s’employer à une main-d’œuvre savante : sa langue est saine, naturelle, ennemie de tout verbiage et de tout artifice, et la poésie ne fut jamais pour lui une sorte d’art mécanique. Sa poétique est celle de Nodier :


En vain une muse fardée
S’enlumine d’or et d’azur ;
Le naturel est bien plus sûr ;
Le mot doit mûrir sur l’idée,
Et puis tomber comme un fruit mûr.