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LEGENDRE

coups de pinceau plus violents, mettre dans le tableau plus de relief et plus de couleur ; il serait difficile d’évoquer les choses avec plus de vérité, et de remuer l’âme plus profondément, que le fait Legendre en sa toute simple et naïve manière.

C’est que Legendre ne vise pas au réalisme, ne cherche pas à faire passer dans ses vers ou dans sa prose la nature brute. Loin de là. Ses motifs sont choisis pour mettre en scène une pensée, un sentiment, une émotion. Jamais il ne décrit, jamais il ne conte, pour le seul et vain plaisir de conter ou de décrire. Quand il dit : « Moi qui suis positif, peu poète et pas du tout rêveur…[1] entendez bien que c’est modestie de sa part, et qu’il faut lire : « Moi qui suis sincère, qui préfère la poésie des choses à la poésie des chimères, et qui suis plus habile à observer la vie qu’à suivre en ses mensonges le vol du rêve… »

La poésie des choses lui suffit. Sa muse ne monte pas « à grands coups d’ailes, dans la lumière » ; elle chante, près de terre, dans la paix du jour ou dans le clair d’étoiles des nuits d’été. « Le grand tort des poètes, dit-il, c’est de prendre les choses de trop haut ou de trop loin. »[2] Lui, il aime à se mettre à leur niveau, pour les voir de plus près, pour les mieux aimer, pour les décrire plus justement. Sans doute, il y perd quelque chose : la vue de l’ensemble ; d’autre part, il y gagne de saisir mieux le détail pittoresque, de voir avec plus de précision les coins de paysage humbles et rustiques, de pénétrer plus avant dans l’intimité des êtres, et d’en respirer la poésie, avant qu’elle ne se disperse.

Legendre n’est pourtant pas ce qu’on est convenu d’appeler un observateur. Des choses lui échappent ; elles n’offrent pas pour lui d’intérêt ; peut-être ne sait-il pas les regarder. Mais il sait admirablement voir ce qu’il aime, et il a le sens du détail intime. Mettez sous son regard, un point, « un petit point de son existence, » ainsi qu’il s’exprime, ou de l’existence des siens ; voilà le poète qui se souvient, qui étudie le fait ancien, et l’analyse, et l’examine, « non pas avec une lentille, mais avec quelque chose de bien plus puissant, avec le souvenir du cœur. »[3] Et dans le morceau de prose ou de vers que cela fait, vous ne trouverez ni colorations violentes, ni aspects étranges, mais un rappel de lumière discrète sur un tableau très simple, mélancolique ou gracieux, d’un sentiment et d’une poésie qui font du bien au cœur.

Le cadre est un peu étroit, le souffle un peu court. Soit. Mais n’est-ce pas un mérite que de savoir mesurer son élan, de ne point s’essayer à de trop grandes entreprises, de ne jamais forcer son talent ? On

  1. E. de Q., I, p. 39.
  2. E. de Q., I, p. 39.
  3. E. de Q., II, p. 54.