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vieux temps » de ce qu’est encore dans quelques endroits reculés, l’industrie des sucres. Vous y trouverez les goudrelles, les cassots, l’entaille, la tille, l’eau d’érable, le brassin, le réduit, la mouvette, la trempette, la tournée en raquette ou sur la croûte qui porte, etc., etc.

Le goût de Legendre pour ces vocables tenait sans doute au besoin qu’il éprouvait de dire les choses de chez nous comme il les voyait, mais aussi à son amour de la langue française et à la connaissance qu’il avait acquise de ses lois.

Je l’ai dit déjà, Legendre aimait sa langue ; il avait pour sa langue un culte. Il la voulait pure, claire et correcte. Il la voulait élégante aussi, simple et pittoresque. Il la voulait française à la fois et canadienne. Car, l’un des premiers, au Canada, il avait connu les belles études de la philologie romane et avait appris que savoir la grammaire française n’est pas savoir le français, qu’au-dessus des règles il y a les lois qui président à la formation et à l’évolution des langues, qu’au delà de la lettre il y a l’esprit. Ces premières notions l’avaient conduit à étudier le caractère du parler franco-canadien et le rôle qu’il peut être appelé à jouer dans l’histoire de la langue française. Et il avait tiré de cet examen deux conclusions : d’abord, que nous ne parlons pas un patois ; puis, que nous avons le droit de contribuer, nous aussi, au renouvellement et à l’enrichissement du vocabulaire officiel.[1]

Ces deux conclusions sont justes — bien que Legendre ait forcé la première.

Il est vrai, puisque une langue est un organisme vivant, qui se meut sans cesse et n’est jamais fixé, puisque le peuple est le maître du vocabulaire et le forgeur des mots, puisque, pour se renouveler, le langage littéraire doit puiser comme à sa source naturelle dans les parlers, on ne voit pas pourquoi la langue française refuserait l’apport des vocables nécessaires à l’expression de l’âme canadienne. Il faut sans doute que ces vocables soient bien nés, et c’est à faire le départ du bon et du mauvais dans notre vocabulaire que Legendre a consacré les meilleures pages de son livre, les pages où il revendique le droit de cité pour les expressions « que nous n’avons pas été libres de ne pas créer. »[2] Il aurait dû ajouter :… et pour les formes que nous avons conservées des patois français.

Car, si Legendre disait justement : « La langue que nous parlons n’est pas un patois, » il avait tort d’aller plus loin et d’écrire : « Nous n’avons pas ici de patois. » Nous ne parlons pas un patois, nous parlons le français ; mais dans notre français, nous avons un grand nombre d’ex-

  1. Voir la Langue française au Canada.
  2. La L. fr. au C. p. 12.