Page:Rivard - Legendre, 1910.djvu/12

Cette page a été validée par deux contributeurs.
[rivard]
81
LEGENDRE

mais vraie. Alors que la littérature ne daignait peindre que des héros et ne s’intéressait qu’aux existences merveilleuses, Legendre paraît avoir eu pitié des oubliés, de ceux dont on ne parlait pas, des petits et des humbles de chez nous ; et il a dit leur vie paisible, sans secousses, sans passions violentes, à une époque où il y avait quelque mérite à le faire.

Du style de ses contes, la manière et la recherche devaient être bannies, comme du reste de son œuvre. Le poète ennemi des couplets de facture ne pouvait donner à sa prose une allure artificielle et des ornements d’emprunt. Il écrivait avec simplicité les choses que lui dictait son cœur. « Mon Dieu, aurait-il pu dire comme Francis Jammes,[1] j’ai parlé avec la voix que vous m’avez donnée ; j’ai écrit avec les mots que vous avez enseignés à ma mère et à mon père, qui me les ont transmis. »

C’est bien cela. Supérieur, je pense, à tous ses contemporains par la connaissance de la langue, et mieux averti de la puissance et des secrets du verbe, Legendre n’a pourtant voulu écrire, on dirait, qu’avec les mots et les tours sans apprêts hérités des ancêtres, appris au foyer. Et parmi ces mots, il en est de savoureux et de pittoresques, de bonne venue aussi et qui ont de la naissance, bien que l’idiome officiel ne les reconnaisse pas encore : Legendre n’a garde de les bannir de sa phrase ; ces bons vocables sont de chez nous : comment l’écrivain attaché aux choses du foyer canadien les pourrait-il rejeter ?


Ô douceur de tremper sa bouche à ces vieux mots ![2]


Il s’y complaît, et cela accentue davantage le caractère bien canadien de son œuvre.

La Noce au village[3] est probablement la meilleure scène de mœurs canadiennes qu’un poète ait rimée. Mais il manquerait quelque chose à cette scène honnêtement tapageuse, si l’on n’y voyait « le harnois du dimanche » « les mouchoirs carreautés, » le gars « assis sur le coffre, » qui se lève pour galamment « prier sa compagnie » et attaquer « ce grand pas que l’on appelle battre à quatre. » Je ne sache pas que personne ait parlé de façon plus vraie ni plus touchante que Legendre, dans La Fileuse,[4] du dévouement de nos mères et de leurs vertus patientes ; mais quel contresens, si, pour peindre ce calme tableau d’intérieur, le poète avait savamment agencé des phrases de haut style et ne s’était pas arrêté à la beauté familière des mots connus !

Dans ses contes surtout, Legendre s’est servi de notre langue populaire. Lisez, dans Annibal,[5] la description de ce qu’était « dans le bon

  1. De l’Angélus de l’aube à l’Angélus du soir, Préface,
  2. Féret, Ch.-Th.
  3. Mél., p. 211.
  4. Mél., p. 219.
  5. Mél., p. 105.