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d’hui vivantes d’actualité. Il y a dans les Échos de Québec des pages qui resteront.

Et puisque j’ai nommé Sabre et Scalpel, dirais-je que Legendre n’était pas bon romancier ? Il n’était ni bon, ni mauvais romancier ; il n’était pas romancier du tout, et lui-même se plaisait à le dire. Inventer une trame complexe, avec des intrigues, des fortunes merveilleuses, des situations violentes, des péripéties imprévues, et pour finir une catastrophe qui d’un coup tranche tous ces nœuds gordiens ; ou imaginer une âme d’une incomparable noblesse, sinon d’une vilenie plus extraordinaire encore, un ensemble impossible de qualités morales et intellectuelles, ou bien une petite âme, une âmette d’une ingénieuse complexité, pour se donner le malin plaisir de faire des analyses psychologiques… Voilà des entreprises que Legendre trouvait des plus curieuses et des plus amusantes, mais pour lesquelles il ne se reconnaissait justement aucune aptitude. Par contre, si Gabrielle — six ans — qui a vingt sous dans sa tirelire, vingt sous « dont six tout neufs, » rêve d’acheter un voile pour sa poupée, une corde à danser, du sucre, des pommes, que sais-je ? cent autres choses, surtout certain « chat blanc » remarqué chez la marchande de jouets, mais sacrifie tout et donne sa fortune à un petit pauvre… le poète, qui aime tant les enfants et qui les veut charitables et bons, est ému ; il prend sa plume, il écrit ; et cela fait un conte d’une naïveté charmante, où il est démontré que « le bon Dieu donne la satisfaction du cœur à ceux qui font le bien, sans compter que parfois il les récompense encore d’une autre manière. » Et c’est bien vrai, « puisque le lendemain, à son réveil, Gabrielle trouva le chat blanc à côté de son oreiller. »[1] Ou bien l’écrivain se rappelle, avec des détails pittoresques, le baptême et les premières années d’un petit gars canadien ; l’entrée à l’école, les années de collège, le retour du fils de l’habitant aux mancherons de la charrue, puis la lutte contre la forêt, contre la terre rebelle… L’amour du terroir réveille de nouveau le conteur, et Legendre écrit Annibal.[2] Ou encore c’est Saint-Georges, vieux de sept ans, « orné de beaucoup de qualités, mais ne manquant pas de petits défauts, » qui accompagne sa mère dans la mansarde de l’ouvrier… Mais vous avez lu Monsieur Saint-Georges, et le Collier bleu de Mariette, Corinne, Travail et Talent, les Déceptions de Jacques, Jean-Louis, Paul et Julien… C’est toujours pour faire revivre une émotion ou un souvenir, pour inspirer l’idée du devoir, le désir de faire du bien, la fidélité aux croyances, le respect des traditions, que Legendre se fait conteur. Ne cherchons pas dans ses nouvelles le récit d’aventures enchevêtrées, non plus que l’analyse subtile de certains états d’âme ; ses personnages sont simples, et simple leur vie,

  1. Les vingt sous de Gabrielle. À mes enfants, p. 5,
  2. Mél., p. 5.