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LEGENDRE

pureté classique, une sensibilité exquise, et qu’il aurait pu, dans un genre modéré et discret, prendre rang parmi les plus habiles.

En fait, pour la grâce et l’émotion, ses pièces les mieux touchées ne dépareraient pas le souvenir de recueils plus illustres. Mais il ne fut, en poésie comme en prose, qu’un amateur. J’entends par là que la littérature ne fut pas pour lui une profession, qu’il ne crut jamais à sa mission d’artiste, qu’il se préoccupa fort peu de ses œuvres, qu’il écrivait plutôt au gré de son caprice pour dire simplement ce qu’il ressentait et sans prétendre plus haut, que même il négligea de faire les efforts et de prendre les soins qu’il aurait fallu pour donner sa mesure. Cela repose, n’est-il pas vrai ? des prétentions tapageuses de ceux qui, parce qu’ils ont fait rimer trois fois voile avec étoile, croient avoir reçu le baiser de la chimère. Cependant, que ce fût humilité trop grande, inconscience de son propre talent, ou nonchalance, c’est en quoi Legendre eut tort. On avait droit d’attendre de lui plus d’œuvres, et de meilleures ; il devait à notre littérature une contribution plus abondante et plus soignée. Mais, je le répète, Legendre ne faisait pas de lui-même assez d’état pour croire qu’il fût appelé à jouer un rôle dans l’histoire des lettres franco-canadiennes ; ses vers ne lui paraissaient pas même valoir la peine d’une retouche ; et loin de penser que ses écrits eussent de la valeur, il s’amusait à y découvrir des fautes… qu’il ne corrigeait point.

Cet homme d’esprit, mais dont les traits n’avaient pas de pointes cachées et jamais ne blessèrent personne, ne se permettait de critiquer avec malice que ses propres ouvrages. La fortune de ses œuvres en prose, surtout, le laissait fort indifférent ; il s’étonnait que le lecteur trouvât quelque mérite à ses chroniques, par exemple ; et de son roman Sabre et Scalpel,[1] on ne dira jamais autant de mal qu’il en disait lui-même.

Et pourtant, l’auteur des Échos de Québec fut le meilleur chroniqueur de son temps, et je ne sache pas que depuis il en soit paru beaucoup qui le vaillent. Ses chroniques sont des causeries, et Legendre est un agréable causeur, chez qui il nous plaît singulièrement de retrouver les qualités du poète : naturel et sincérité de l’expression, goût délicat, amour des humbles, pitié pour les faibles, culte de la famille et des choses canadiennes, avec en plus une bonhomie sans malice, un jugement très sûr, et l’art de reprendre finement les travers sans jamais offenser. La chronique, c’est ordinairement l’article inspiré par l’événement du jour, la feuille volante qui doit sentir bon l’encre d’imprimerie pour offrir quelque intérêt. Mais les causeries de Legendre ne s’arrêtent pas aux faits divers, et elles sont écrites tellement qu’on les trouve encore aujour-

  1. Il n’en parlait jamais qu’en lui donnant par plaisanterie, et pour se moquer, le titre de Fabre et Gravel.