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d’immortalizer vn homme que celuy des Armes, c’eſt pour cela qu’on luy fait tenir vn Liure de la main gauche, & vne teſte de mort ſous le pied, pour nous apprendre que ceux qui excellent en l’vne & en l’autre de ces nobles profeſſions ne voyent iamais le fleuue d’oubly,

Et que malgré Charon, qui les prend dans ſa barque,
Leur nom & leur vertu triomphent de la Parque.


Amitié. IV.


VOicy la peinture de l’Amitié, qu’Ariſtote definit vne mutuelle correſpondance d’affections entre des perſonnes de meſme humeur, & qui ſe propoſent touſiours la Raiſon & la Vertu pour guides. Elle eſt ſimplement veſtuë d’vne robe blanche ; & peu s’enfaut que ſon eſpaule gauche ne ſoit auſſi nuë que ſa belle gorge, qu’elle a toute deſcouuerte. Sa Guirlande eſt de fueilles de Myrthe & de fleurs de Grenadiers entrelaſſées, auec ces mots au deſſus, Hyems et Æstas, qui ſignifient L’Hyuer et l’Eſté. De ſa main droite elle monſtre ſon cœur, où ſont eſcrites ces paroles en lettres d’or, Longe et prope, loing & prés, & celles-cy au bas de la robe, Mores et Vita, La Mort & la Vie. Elle ſe plaiſt à la nudité de ſes pieds, & empoigne auec la main gauche vn ormeau ſec, enuironné d’vn ſep de vigne.

La liurée de l’Amitié ſincere eſt touſiours blanche, & ſon habillement ſans parure, pour vne marque de ſa franchiſe, qui ne peut ſouffrir ny artifice, ny déguiſement.

Les differentes deuiſes qui ſe liſent ſur ſon corps, & qui en ſont comme l’ame, ſignifient qu’vn parfait amy prés ou loing de la perſonne aymée, en eſt en tout temps inſeparable : Car pour grand que ſoit le changement de la Fortune, ou bonne, ou mauuaiſe, il eſt tres-content de viure & de mourir pour les intereſts d’vne vertiable affection. Que s’il arriue qu’elle ſoit feinte, il ne faut que le moindre reuers pour la faire fondre tout à l’inſtant, comme la neige au Soleil.

Quant à ſa Guirlande, faite de Myrthe, & de fleurs de Grenadier, elle eſt un ſymbole de l’vnion des volontez, le fruct deſquelles, quelque caché qu’il ſoit au dedans, ne laiſſe pas de paroiſtre enfin ; n’eſtant pas posſſible qu’il ne s’en exhale de bonnes odeurs, par les exemples & les actions honorables de ceux qui les accueillent. En quoy toutesfois il ne faut pas qu’il y ait aucune