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ſi bien que les yeux de l’objet aimé s’ouurant vn paſſage en ceux de l’Amant, penetrent dans le profond de ſon cœur.

Voila le raiſonnement du diuin Philoſophe, aſſez conforme à l’opinion de l’ancien Poëte Muſée, qui le premier de tous met dans les yeux la ſource d’Amour, d’où il dit que print naiſſance celle que Leandre auoit pour Hero.

En effet les beaux yeux ont des flammes volantes,
Ou pluſtoſt des eſclairs pleins de feux & de dards ;
Qui font ſentir au cœur les ardeurs violentes
____Des amoureux regards.

De cette verité demeurent d’accord auecque Muſée, tous les autres Poëtes qui ont eſcrit de l’Amour en diuerſes langues ; Tellement qu’il ne me ſeroit pas difficile, de me preualoir de leur authorité, ſi ie l’auois entrepris : Mais au lieu de m’amuſer aux preuues d’vne choſe, qui en a ſi peu beſoin, & que les hommes apprennent à leur dommage ; il eſt bien plus à propos que ie leur conſeille de fermer les yeux, que de les ouurir pour des objets qui les peuuent perdre. Qu’ils ſe ſouviennent tant ſeulement, Que la beauté de la pomme, ſi toſt que noſtre premiere Merre l’euſt veuë, attira la commune ruine du genre humain, Qu’on n’euſt iamais veu les eaux du Ciel ſe déborder ſur la terre, & faire vn Deluge vniuersel, ſi les laſciuetez de l’œil n’en euſſent eſté la cauſe : Que ny Themnata la belle Philiſtine, ny la fameuſe Dalila, n’euſſent peu vaincre Sanſon, que l’on croyait inuincible, s’il ne les eût trop fixement regardées ; Que pour auoir veu la belle Berzabée dans le bain le plus ſage Roy de ſon temps ſe peruertit ; Et que dans les yeux de Cleopatre s’alluma l’Amour que Marc-Anthoine euſt pour elle ; Amour s’alluma l’Amour que Marc-Anthoine euſt pour elle ; Amour contagieuſe & fatale à ce malheureux Amant, autant qu’elle fut glorieuſe & profitable au victorieux Auguſte. A tous ces exemples i’en pourrois ioindre quantité d’autres, ſi ie n’auois fait deſſein d’expliquer ſuccinctement ces figures, pluſtoſt que de m’arreſter à de longs raiſonnemens.