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Harmonie. LXXV.


CE Tableau de l’Harmonie ſe void au Palais du grand Duc de Toſcane ; où elle eſt peinte comme vne belle Reine, ayant ſur la teſte vne Couronne toute brillante de pierrerie, vne Lyre en vne main, & vn Archer de l’autre.

Pour donner l’explication de la beauté de cette Figure, il ſuffit de dire en general auecque les Poëtes, Qu’elle eſt couronnée comme fille du Ciel, les charmes de laquelle enchantent les cœurs, flechiſſent les Tygres, & donnent du mouuement aux choſes inanimées. Teſmoin la Lyre d’Orphée, qui par ſes melodieux accords ſe rendoit ſenſible aux rochers, & deſracinoit les arbres. Mais il ne faut pas s’eſtonner de ces merueilles de l’Harmonie, puiſque ſelon les Pytagoriciens, il n’y en a point icy bas qui ne prenne ſon origine des Cieux. Nous meſmes y participons par leur vertu ; Et voila pourquoy nous preſtons ſi volontiers l’oreille à ſes agreables conſerts, iuſques-là meſme, qu’au dire de quelques-vns, nous ne pourrions ſans eux, ny mettre d’accord les mouuemens de noſtre ame, ny treuuer la iuſte cymmetrie des vertus.

Les Poëtes nous ont caché cette Philoſophie ſous l’eſcorce de la fable, quand ils ont feint, Qu’apres que les Coribantes & les Curettes eurent arraché Iupiter encore enfant, des cruelles mains du vieil Saturne ſon pere, ils le menerent en Crete, pour y eſtre nourry ; & ne ceſſerent le long du chemin de le diuertir au ſon des Cymbales, & de quelques autres inſtrumens d’airain. Que ſi l’on ſçait bien examiner cette fable, l’on trouuera, que par Iupiter ſe doit entendre moralement la Sageſſe acquiſe, qui ne peut iamais prendre nourriture ny accroiſſement en nous, ſi elle n’eſt aſſiſtée de l’Harmonie de toutes les choſes. Car depuis qu’elle s’eſt vne fois emparée de noſtre ame, elle en bannit le diſcord des habitudes contraires à la vertu, dont il ſemble que nous ſoyons les creatures, pource que les inclinations au peché s’engendrent en nous, pluſtoſt que les actions vertueuſes & loüables.

Dauantage, par le meſme Iupiter, eſchappé des mains de Saturne, s’entend la plus pure patrie du Ciel incorruptible, à laquelle ne peut nuire la violence du Temps, qui deuore peu