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LES FEMMES POÈTES BRETONNES

En t’écoutant, mon cœur ne peut que soupirer.
Amollir ton courage, enfant, à Dieu ne plaise !
Quand l’heure sonnera, va, je serai Française !
D’ici là je suis mère, oh ! laisse-moi pleurer !…

Oh ! laisse-moi pleurer !… Les larmes sont aux mères ;
Le Dieu qui sut créer leurs souffrances amères,
Dans leur âme, en creusant l’abîme des douleurs,
Ouvrit, en même temps, la source intarissable
De leurs yeux, de leurs cœurs, coulant inépuisable ;
C’est aux mères surtout qu’il a donné les pleurs.

En me voyant passer sous mon voile de veuve,
Beaucoup disent : — La joie accompagne l’épreuve,
Car je souris encore, appuyée à ton bras.
Ils pensent : — Le passé brisa cette pauvre âme,
Mais du moins l’avenir va rendre à cette femme
Tout son bonheur. — Hélas ! c’est qu’ils ne savent pas.

C’est qu’ils ne savent pas que je suis condamnée
À l’éternelle angoisse ; et que chaque journée
Vers une heure attendue approche sûrement ;
Cette heure, unique but de ma triste existence,
Mon tourment, mon espoir, mon rêve, ma souffrance,
L’heure où je t’armerai pour tenir mon serment.

Serment terrible et saint ! Lorsque fut apportée
De ton père martyr l’épée ensanglantée
Sur ton berceau d’enfant… folle, je te saisis