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accusateurs. Il le fit et fit bien, dit la chronique... » Est-ce là le ton de l’Histoire ? de l’Histoire, ce papotage de caillette heureuse de s’écouter parler ; ce délayage en six volumes d’anecdotes et de potins recueillis de toute bouche ? Car les souvenirs de la duchesse sont moins ses souvenirs que les souvenirs des autres. Il est vrai qu’elle les agrémente d’inexactitudes suggérées, les unes par une passion de médisance qui lui avait valu de Napoléon le qualificatif de petite peste, les autres par un infini besoin de plaire qui la porte à broder les on-dit d’autrui. Nulle part ce travers n’est mieux mis en son jour que dans le chapitre consacré à la mésaventure du Sénateur. Elle y a été dupe non seulement de sa vanité, mais de sa naïve crédulité. Elle a pris pour argent comptant les fictions d’un romancier, dont la qualité seule eût dû la mettre en défiance, et qui devint ainsi l’auteur du tort fait à la vérité par la vraisemblance et à l’Histoire par le Roman. J’ai nommé Balzac.

Né à Tours en 1799, Balzac y a passé son enfance. Il y a grandi au temps où les têtes sont encore pleines du souvenir de la mystérieuse aventure. On en parle un peu partout : il écoute et s’intéresse ; et comme, chez lui, la mémoire se double d’une imagination vive, les faits se gravent avec une intensité singulière. Il n’oubliera pas. Il oubliera d’autant moins qu’il voit le Sénateur fréquenter chez son père[1]. Il connaît le héros du drame. Il en connaît aussi les lieux. Quand ses

  1. Dans une lettre datée de Tours (13 juillet 1817) le père de Balzac parle à M. Clément de Ris de son « véritable attachement » et lui annonce sa visite à Beauvais sous peu de jours.