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LE POIDS DU JOUR

et légère à laquelle il prenait un plaisir qui le bouleversait profondément. Enfin il était arrivé que le hasard d’un mouvement avait fait glisser la tête de la jeune fille sur son épaule. Il l’avait embrassée hâtivement et maladroitement sur le coin de la bouche. Là encore elle n’avait point bronché, n’avait eu geste de protestation ni de recul ; ni, à la vérité, de mouvement qui eût pu être un acquiescement ou un commencement d’abandon. Rien. Quand il l’embrassait ainsi, depuis, elle interrompait simplement sa phrase pour la reprendre aussitôt terminé le baiser.

Lorsqu’il pensait de la quitter, marchant vers la maison dans ce calme de la nuit qui le rendait plus conscient de la violence de ses désirs, il reprenait sa veillée à ce moment précis où son audace avait failli et où il n’avait point osé tenter d’aller plus avant. Il s’imaginait alors glissant ses mains fiévreuses le long de l’épaule ferme vers la mollesse souple de la poitrine, disant les choses qu’il eût voulu dire et qu’il ne savait comment aborder. La prochaine fois…

Elle aurait la tête sur son épaule. Il essaierait d’un baiser plus violent et dont entre jeunes gens on parlait bravement comme d’une chose connue et pratiquée. Certes, jamais encore il ne l’avait essayé. Cela lui paraissait le comble de l’audace. Mais si elle allait rester encore impassible :

— Georgette, dirait-il, tu es bien froide !

Sûrement elle protesterait :

— Mais non, Michel, je t’assure !

— Tu n’aimes pas quand je t’embrasse comme cela.

Et il l’embrasserait de nouveau, longuement, plus longuement encore, d’un baiser pénétrant tandis qu’il la serrerait sur lui et que sa main caresserait ses cheveux.

Il la sentirait alors qui se mettrait à trembler. À son tour elle l’entourerait de ses bras…

Comme la nuit était fraîche, il enlevait son pardessus. Laissant le vent de minuit calmer son front brûlant, hâtant le pas, il se perdait dans l’ombre des grands arbres sous lesquels les rues venaient se dissoudre.

Le jeudi suivant il se retrouvait près de Georgette, tremblant d’un désir qu’il tremblait encore plus de lui voir deviner.

Il avait pourtant vingt-deux ans. Mais tout ce qu’il connaissait de la femme était ces attouchements énervants qui ne faisaient que rendre plus aiguë sa faim charnelle ; et le souvenir de cette heure nocturne où il avait senti près du sien le corps provocant de la femme de son patron. Il songeait avec impatience au jour où sa situation enfin établie lui permettrait d’épouser une femme qui serait, assurément, Georgette. Et son imagination suppléant à une connaissance qui lui manquait, il se faisait du mariage une sorte de paradis matériel où rien ne comptait plus que des caresses jamais interrompues.