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HÉLÈNE ET MICHEL

tonie et ajouter du piquant. Les yeux étaient sombres, d’un brun banal ; mais les cils très longs alourdissaient et cernaient les paupières. La peau était à la fois fraîche et chaude, fraîche de grain et chaude de couleur. Ce qui surtout avait saisi Michel était la beauté des cheveux châtains visiblement très soignés. Elle y portait constamment la main en un geste précis et machinal, les lissant distraitement sur les tempes pour les remonter vers le sommet de la tête où ils étaient roulés en une longue coque suivant la mode du jour. Les yeux de Michel restaient fixés sur ce casque soyeux où chaque mouvement de la tête faisait courir des reflets mordorés.

La jeune fille le regardait, le sourcil gauche relevé de façon bizarre et interrogative, attendant qu’il se décidât à parler. Michel se rendit compte de sa distraction et rougit.

Il rougit et se sentit gêné. Son secret avait été surpris en même temps que lui-même l’avait connu. Pourquoi n’avait-il pas comme tout le monde regardé les yeux et le visage ? Ou la poitrine ? C’est que pour lui, il s’en rendait compte, rien n’était plus attrayant chez une femme, rien de plus capiteux que la beauté de la chevelure, couronne de reflets magiques et brûlants que ses yeux cherchaient d’abord.

Il fut en quelque sorte reconnaissant à cette étrangère de la révélation d’un instinct dont il eût ressenti de la honte, car il sentait là quelque chose d’anormal. Pour la première fois il devina ce que l’idée de péché pouvait avoir de terrifiant et de savoureux en même temps. Ces cheveux, il eût voulu les toucher, y poser ses lèvres, les caresser longuement.

— Qu’est-ce que j’ai d’extraordinaire, monsieur Garneau ? Est-ce que je suis décoiffée ?

Il se mit à rire.

— Pas du tout. Au contraire. C’est bien joli, cette coiffure.

— Ça vous plaît ?

— Beaucoup…

Elle avait pesé le paquet qu’il avait apporté.

— Ce sera quatorze sous.

— Merci. Bonjour.

Il vint désormais chercher le courrier deux fois par jour, au lieu du messager. Et chaque fois la conversation était plus longue et plus plaisante.

Si bien qu’un jour il se décida.

De son bureau à lui, il apercevait par la fenêtre la porte latérale du bureau de poste, justement celle des employés. Il la voyait sortir chaque soir.

Le mercredi il prolongea exprès son travail et à cinq heures moins sept, il sortait de la banque. Le temps de traverser la rue, de regarder les