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HÉLÈNE ET MICHEL

— Ça ne me dit rien, maman. Je suis très bien comme ça. Après mon travail, je suis bien content de rentrer à la maison.

— Comme tu voudras. Tu sais, je ne me plains pas de t’avoir avec moi.

Elle n’insistait pas. Cela d’ailleurs eût été contraire à son tempérament. Pourquoi se fatiguer à vouloir violemment les choses ? Elle se contentait d’ajouter parfois, plaidant mollement contre son propre sentiment :

— C’est que… il faut penser à plus tard. Tu te marieras. Je ne serai pas toujours là.

— Ne dis pas cela, maman ! Je te le défends.

Il parlait alors avec une autorité subite et dure, rejetant la tête en arrière d’un mouvement volontaire qu’elle connaissait bien ; Ludovic Garneau avait jadis ce même geste brusque et cette même voix impérieuse. Mais cela, elle ne l’avait jamais dit à Michel.

Il était de fait que les jeunes filles ne semblaient point s’intéresser au jeune Garneau. Non pourtant qu’il fût laid. Sans être grand, il était d’épaules assez droites et portait la tête haute. De ses cheveux châtains, entre le noir de son père et le blond de sa mère, et qu’il portait un peu longs, une mèche retombait devant l’œil, une mèche trop longue qu’il relevait d’un geste fréquent de la main. Les yeux étaient clairs et nets, d’une indéfinissable couleur : un peu plus foncés que pers mais virant au noir brutal lorsqu’une colère subite faisait pâlir le visage. Le menton un peu avancé, la bouche plutôt mince avouaient plus de volonté que de jugement.

À la fin de l’année monsieur Jodoin, devant son insistance et sans doute grâce à l’intervention de monsieur Lacerte qui de loin ne l’oubliait point, monsieur Jodoin consentit à porter son salaire à dix dollars par semaine. Il avait d’ailleurs pris des responsabilités à mesure qu’il se faisait plus au courant des affaires de la banque.

Au printemps, le jeune Langlois fut engagé comme messager et dernier commis. Michel eut désormais quelqu’un à qui donner des ordres.

Pour les étrennes de sa mère, il lui acheta des boucles d’oreilles en or.