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HÉLÈNE ET MICHEL

— … Il ne faudrait pas que tu sois malade. Surtout qu’aujourd’hui je dois aller à Montréal. J’avais pensé n’y aller que demain ou jeudi. Mais il y a une vente de liquidation annoncée dans le journal.

— Mais non, maman ! Tu peux partir sans inquiétude. Je n’ai rien du tout, je t’assure. Qu’est-ce que tu vas t’imaginer ! J’ai travaillé un peu tard, hier soir.

— Beaucoup trop tard, Michel. Je le sais bien. Je n’ai pas dormi tant que tu n’as pas été rentré. Comme toutes les mamans…

Cette fois, Michel sourit franchement mais ne dit rien. En passant devant la porte entr’ouverte de la chambre, il avait entendu la respiration calme, un peu sonore, de sa mère paisiblement endormie.

— Je pars. Bonjour, maman !

Il se pencha pour l’embrasser. Et comme à ce moment elle aussi penchait la tête, il toucha de ses lèvres le nid soyeux de ses cheveux fins, odorants comme le foin fleuri, au parfum un peu âcre, que l’on coupe en fin d’été et qui le soir embaume au loin l’horizon. Sa main toucha l’épaule de sa mère ; mais ce contact lui en rappela un autre. Il retira brusquement le bras.

— Bonjour.

En passant devant la glace du corridor, il aperçut ses propres yeux ; il n’osa se regarder en face.

Le ciel matinal le rasséréna et la lumière calme du jour. Ses yeux retrouvèrent un monde qui n’avait point changé. Le soleil guilleret sautait d’une flaque de glace à l’autre. Partout la pluie s’était par magie figée en un vernis qui recouvrait de feux nouveaux jusqu’à la vieille neige hier encore fangeuse. Une voiture paysanne passait, carillonnant de tous ses grelots fous sa joie d’avoir été tirée de la remise par l’hiver hâtif. Chaque vitre, aux fenêtres des maisons, était un paysage de givre. À chaque toit la nuit glaciale avait accroché plaisamment une barbe éblouissante.

Machinalement, le pas de Michel se fit plus vif.

Arrivé au perron de la banque, il s’aperçut qu’il chantonnait.

— Bonjour, Michel. Il est neuf heures quart !

— Bonjour, monsieur Jodoin, j’ai été retardé ce matin à la maison.

— Es-tu venu travailler hier soir ?

Le jeune homme regarda son patron et lui vit l’air tranquille, ni plus ni moins hargneux que d’habitude. La question ne cachait aucun piège. Il sentit soudain sa poitrine se dilater et l’air y entrer profondément comme un soleil levant qui d’un jet balaye l’obscurité et chasse les ombres louches de la nuit.

— Alors tu n’es pas venu hier ! Je t’avais pourtant demandé de chercher l’erreur.